Quand Sébastien, 22 ans, a troqué ses études d’ingénieur contre la blouse d’infirmier, les réactions n’ont pas tardé à suivre : « On m’a surtout posé des questions sur mon salaire. J’ai aussi entendu : “Pourquoi infirmier et pas médecin ?” » Mais pour cet étudiant en troisième année à l’institut de formation en soins infirmiers de Saint-Antoine à Paris, c’était un « vrai choix de cœur ». Et comme Sébastien, la plupart des étudiants (la filière en compte quelque 90 000) obéissent à des motivations profondes, quasi vocationnelles.

L’atterrissage n’en est que plus violent. Frustration du personnel soignant, soins à la chaîne, infirmières débordées… C’est la dure réalité à laquelle les étudiants sont confrontés pendant leurs stages. Tous sans exception dénoncent un système dans lequel le prisme économique domine. « Les infirmières n’ont plus le temps de parler avec les patients. Je ne juge pas, c’est qu’elles n’ont pas le temps. Mais je ne suis pas très optimiste », dit Anna, étudiante en première année à Paris.

L’une des conséquences directes de ce phénomène : l’inégalité dans l’encadrement des stages, lesquels représentent 50 % de la formation sur les trois années d’études. Si certaines expériences se révèlent très positives, il arrive que des étudiants se retrouvent à remplacer des aides-soignants, ce qui entrave leur progression. D’autres sont plus ou moins livrés à eux-mêmes dans un service où le personnel est débordé. Sans compter que les infirmières sont parfois désignées tutrices de stage contre leur gré. 

« L’amélioration des conditions de travail des professionnels serait une bonne chose pour que nos tuteurs de stage aient du temps dédié au tutorat. L’évaluation de stage est parfois une surprise : difficile de se remettre en question quand on ne nous dit pas ce qu’il faut faire ! » déplore Lisa Cann, 25 ans, présidente de la Fédération nationale des étudiants en soins infirmiers (FNESI) et diplômée de l’institut de Vannes.

Pour Alexandre, 23 ans, qui termine sa troisième année à La Roche-sur-Yon, l’expérience de stage s’est révélée fertile. « Ma tutrice m’a toujours très bien encadré. Il faut aussi que l’étudiant soit capable d’aller solliciter les équipes médicales. À la fin de mon dernier stage, j’étais en mesure de gérer le service. »

Dans un contexte pas toujours sécurisant, la peur de commettre une erreur est une crainte récurrente chez les futurs professionnels. Un dérapage peut leur coûter une exclusion de leur institut de formation. La procédure est la suivante : un conseil, qui rassemble entre sept et neuf personnes dont le directeur de l’agence régionale de santé, le directeur de l’institut de formation, un enseignant et trois représentants étudiants, se réunit pour débattre du cas de l’élève, lui-même convoqué pour se justifier. Mais la décision finale d’exclusion revient au seul directeur de l’institut, ce qui peut donner lieu à des sentences arbitraires. Ce mode de gouvernance pose problème aux yeux du FNESI qui espère pouvoir le réformer. 

Autre difficulté rencontrée par les étudiants : les décalages entre l’apprentissage théorique et la réalité du terrain. « On nous apprend à nous laver les mains en sept étapes et 30 secondes. Mais, une fois à l’hôpital, c’est impossible de trouver le temps ! Aussi, en théorie, l’infirmière doit porter des gants lors d’une prise de sang pour éviter d’éventuelles contaminations. C’est quelque chose que je n’ai jamais vu faire », observe Anna. 

Point positif, c’est une profession où le chômage est relativement peu présent. L’Île-de-France représente un fort bassin d’emplois. En revanche, les infirmières peuvent avoir des difficultés à trouver du travail dans les régions où la rotation de l’emploi est faible comme la Bretagne ou la Normandie. D’ailleurs, les instituts de Falaise et de Vire, dans le Calvados, ont été cet automne menacés de fermeture. Selon le rapport France Stratégie de 2015 « Les métiers en 2022 », on compterait 219 000 postes à pourvoir dont 92 000 créations d’emplois. Reste qu’aujourd’hui, les étudiants soulignent qu’ils doivent bien souvent à leur sortie d’études « enchaîner les CDD », avec des salaires peu attractifs (autour de 1 500 euros). Anna espère trouver un poste au Canada. « On y gagne le double ou le triple et on peut exercer notre métier dans des conditions optimales. »

Pour autant, tout est loin d’être négatif. « Aujourd’hui, nous ne sommes plus des exécutants. On nous invite à prendre des initiatives et à exercer notre esprit critique. Nos formateurs nous poussent de plus en plus vers la recherche afin d’augmenter nos compétences », souligne Élodie, 32 ans, étudiante en troisième année à Paris. La création du statut d’« infirmier en pratiques avancées » est prévue par la future loi santé. Ces professionnels de niveau master pourront effectuer des préconsultations et certaines prescriptions. Aujourd’hui, les instituts de formation délivrent un bac + 3. Un diplôme qui doit aussi être requalifié car il ne permet pas toujours aux étudiants d’accéder au master. Pour cette raison, Élodie effectue une licence à l’université en parallèle de son cursus en institut.

Autre nouveauté : le conventionnement de l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP), permettant pour la première fois à des étudiants parisiens de bénéficier du dispositif Erasmus. Sébastien espère que son dossier sera retenu pour partir en Espagne, à Valence : « J’aimerais pouvoir être confronté à un autre système de soins, prendre du recul sur mes pratiques. »

Un paradoxe demeure : les infirmiers ont davantage de compétences, accèdent à des formations universitaires de plus en plus complètes mais, pour l’instant, l’échelle de responsabilité et les salaires ne suivent pas. Ce que déplore Lisa Cann : « Nos capacités ne sont pas exploitées à leur juste mesure. Utiliser ce potentiel serait la plus belle des reconnaissances. »  

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