Notre époque est confrontée à de nombreux défis. L’une de nos difficultés majeures est de réussir à concilier les impératifs du court terme — nourrir sa famille, survivre dans un système économique aux fluctuations incessantes —, avec, à moyen terme, la quête d’une vie heureuse et épanouissante et, à long terme, le respect de l’environnement pour le bien des générations futures. L’économie et la finance suivent leur cours, toujours plus chaotique. Le degré de satisfaction d’une vie se mesure, lui, à l’aune d’un projet de vie, d’une carrière, d’une famille… Il se révèle aussi dans la qualité de chaque instant qui passe et dans nos relations aux autres. Quant à l’environnement, jusqu’à récemment, son évolution se mesurait en ères géologiques, biologiques et climatiques. De nos jours, le rythme de ces changements ne cesse de s’accélérer en raison des bouleversements écologiques provoqués par les activités humaines. Lorsque des citoyens inquiets de leur précarité, des économistes, des hommes politiques et des scientifiques de l’environnement confrontent leurs aspirations et leurs opinions, on assiste le plus souvent à un dialogue de sourds. Pour qu’ils puissent s’asseoir autour d’une table et envisager ensemble les moyens d’œuvrer à un monde meilleur, il leur faut un fil d’Ariane qui leur serve d’imaginaire commun, pour mettre ensuite l’altruisme en action de la manière la plus pragmatique et efficace qui soit. L’altruisme est le seul concept qui permet de relier naturellement ces trois échelles de temps — court, moyen et long terme — et d’harmoniser leurs exigences. L’égoïsme ne fait pas l’affaire.

Si les différents acteurs de l’économie et de la finance avaient davantage de considération pour le bien-être d’autrui, ils opteraient pour un système solidaire au service de la société. Si les décideurs et autres acteurs sociaux avaient davantage de considération pour la qualité de vie de leurs concitoyens, ils veilleraient à l’amélioration de leurs conditions de travail, de la vie de famille et de bien d’autres aspects de leur existence, en œuvrant à plus de justice sociale. Ils agiraient avec davantage de détermination en vue de remédier aux inégalités, à la discrimination et au dénuement. Et nous serions tous amenés à reconsidérer la manière dont nous traitons les espèces animales et nous cesserions de les réduire à l’état d’objets de consommation soumis à notre domination aveugle. Un cochon n’est pas un amas de saucisses en puissance. C’est un « sujet de vie », avec des sensations, des émotions, une intelligence, la capacité de se reconnaître dans un miroir, bref, une conscience. Enfin, si nous tous avions davantage de considération pour les générations à venir, nous ne sacrifierions pas aveuglément la planète à nos intérêts éphémères, ne laissant à ceux qui viendront après nous qu’une Terre polluée et appauvrie.

 Un cochon n’est pas un amas de saucisses en puissance

La partie n’est pas gagnée, loin de là : l’individualisme, l’épidémie du narcissisme gagnent du terrain, tout comme la démagogie, le populisme et l’exacerbation des divisions. Les fake news, l’« infox », et les suspicions conspirationnistes ont toujours existé, mais elles gagnent en ampleur et en force.

Il faut également tenir compte de l’égoïsme institutionnalisé de certains acteurs de la société, les compagnies de tabac par exemple, qui tuent indirectement six millions de personnes par an, les marchands d’armes, les négateurs du réchauffement climatique à la seule fin de promouvoir leurs intérêts immédiats… pour ne citer qu’eux.

Nous avons donc plus que jamais besoin d’altruisme, de bienveillance, de générosité, de connaissances valides, d’honnêteté et de coopération. « La coopération a non seulement été l’architecte principal de quatre milliards d’années d’évolution, mais elle constitue le meilleur espoir pour l’avenir de l’humanité et nous permettra de relever les graves défis qui nous attendent », nous rappelle l’évolutionniste Martin Nowak dans son livre Super Cooperators (avec Roger Highfield, Canongate, 2011, non traduit).

Oser prendre sérieusement en compte le sort des générations futures

Johan Rockström, éminent chercheur sur les changements climatiques et environnementaux, me disait récemment : « Nous formons une seule communauté et gagnons à être bienveillants les uns envers les autres. Nous dépendons tous de notre capacité collective à rester en deçà des limites planétaires qui nous permettraient de préserver un espace de sécurité au sein duquel l’humanité pourrait continuer de prospérer. En menaçant la stabilité de la planète, nous menaçons toutes les générations futures. Garder une planète stable est l’expression ultime non seulement de la bienveillance, mais aussi de la justice intergénérationnelle. Nous devons parler du droit de naître sur une planète offrant de bonnes conditions de vie. La bienveillance exige de remettre à nos enfants une planète en bon état. Ce serait la meilleure de nos réussites. »

Pour que les choses changent vraiment, il faut oser l’altruisme. Oser dire que l’altruisme véritable peut être cultivé par chacun de nous, et que l’évolution des cultures peut favoriser son expansion. Oser l’enseigner dans les écoles comme un outil précieux permettant aux enfants de réaliser leur potentiel naturel de bienveillance et de coopération. Oser affirmer que l’économie ne peut se contenter de la voix de la raison et du strict intérêt personnel, mais qu’elle doit aussi écouter et faire entendre la voix du care, de la considération d’autrui. Oser prendre sérieusement en compte le sort des générations futures, et modifier la façon dont nous exploitons aujourd’hui la planète qui sera la leur demain. 

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