C’est une exposition magnifique et nécessaire que propose le musée du quai Branly à compter du 7 février, sobrement intitulée Senghor et les arts, et dont le 1 est heureux d’être partenaire. Magnifique par le geste et l’intention, par les œuvres présentées, les poèmes illustrés, les documents rares – photos, ouvrages, tableaux – rassemblés et mis en perspective autour du chantre de la négritude, du métissage culturel et de la civilisation de l’universel. Magnifique par l’obstination, pour ne pas dire l’obsession de l’ancien élève de Louis-le-Grand, devenu le premier président du Sénégal indépendant, à placer l’Afrique au cœur d’une culture-monde. Une ambition de toute une vie qu’illustre cette phrase du poète : « Nous sommes autres : ni plus ni moins civilisés que les Blancs. »

Magnifique exposition, nécessaire aussi. Il est saisissant de découvrir combien l’engagement d’un homme né il y a plus d’un siècle, en 1906, nous parle avec tant d’acuité, tant d’actualité aussi. Le propos de Senghor, à la fois simple et complexe, relève une vision tellurique des arts africains, et vante en particulier le premier d’entre eux, la danse, qui permet à l’homme de se régénérer par le tambourinement du sol. Senghor, penseur de la négritude, cherche, par l’enracinement, à renouer avec un homme de l’émotion aux capacités créatrices intactes, avant que le grand prélèvement de la traite l’arrache au pays natal et l’infériorise aux yeux de l’Occident. Pour autant, au banquet de l’universel, dans le « dialogue des cultures » qui marque ce que Senghor nomme le « rendez-vous du donner et du recevoir », c’est un appel à la réciprocité dont l’événement du quai Branly est un écho transcendant les époques.

À travers les nombreuses initiatives de l’auteur des Chants d’ombre pour faire reconnaître les arts africains – le patrimoine comme le soutien à la création –, on suit avec passion, et il faut le dire, avec admiration, le parcours d’un esthète visionnaire qui plaçait la culture au-dessus de tout (y compris des dépenses militaires). Artisan du premier Festival mondial des arts nègres à Dakar en 1966, celui qui fit venir au Sénégal les œuvres de Soulages ou de Picasso – qu’il tenait précisément pour un « Nègre » – ne fut pas exempt de reproches, comme celui de vouloir instaurer (imposer ?) un art d’État. C’est une des forces de cette exposition que de faire entendre la critique de Senghor par les jeunes générations. Celui qui prônait « un art nouveau pour une nation nouvelle » a réussi l’essentiel : souligner la place de l’artiste africain dans l’histoire comme dans le présent de la condition humaine. Dans un esprit d’ouverture à la multitude, au divers et au différent. Marque du goût prononcé de Senghor pour le partage. 

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