« L’homme blanc, blanc parce qu’il était homme, blanc comme le jour, blanc comme la vérité, blanc comme la vertu, éclairait la création comme une torche, dévoilait l’essence secrète et blanche des êtres. Aujourd’hui ces hommes noirs nous regardent et notre regard rentre dans nos yeux ; des torches noires, à leur tour, éclairent le monde et nos têtes blanches ne sont plus que de petits lampions balancés par le vent. Un poète noir, sans même se soucier de nous, chuchote à la femme qu’il aime : “Femme nue, femme noire / Vêtue de ta couleur qui est vie… // Femme nue, femme obscure, / Fruit mûr à la chair ferme, sombres extases de vin noir.” et notre blancheur nous paraît un étrange vernis blême qui empêche notre peau de respirer, un maillot blanc, usé aux coudes et aux genoux, sous lequel, si nous pouvions l’ôter, on trouverait la vraie chair humaine, la chair couleur de vin noir. »
« Orphée noir » (1948), préface de l’Anthologie de la nouvelle poésie nègre et malgache de langue française de L.S. Senghor, Puf, 2015, 9e éd.