Les téléspectateurs de 1974 ont certainement dû sourire devant cet homme d’âge mûr vêtu d’un pull moulant rouge diagnostiquant l’épuisement des ressources naturelles. « Je bois devant vous un verre d’eau précieuse parce qu’avant la fin du siècle, si nous continuons un tel débordement, elle manquera », nous disait alors dans un spot de campagne René Dumont, le premier candidat écologiste à une élection présidentielle. En pleine période des Trente Glorieuses, le productivisme, la consommation et l’exploitation sans limite des énergies fossiles étaient considérés comme des données intangibles, et le candidat écologiste reçut 1,32 % des suffrages, moitié moins qu’Arlette Laguiller – mais deux fois plus que Jean-Marie Le Pen. 

Dans les années 1970, l’enjeu environnemental se limitait au refus de la bétonisation des côtes littorales, à la préservation d’îlots naturels face à l’avidité des constructeurs immobiliers, voire à la défense d’espèces menacées dans des terres lointaines. Un demi-siècle plus tard, un monde sépare l’indifférence des foules de l’époque du catastrophisme qui domine aujourd’hui la pensée écologiste. La menace qui nous semblait si éloignée géographiquement et dans le temps est aujourd’hui à nos portes. Le réchauffement climatique, la pollution de l’air et des sols, la déforestation, la disparition annoncée de milliers d’espèces animales à court terme, les migrations humaines entraînées par les catastrophes naturelles à répétition dans certaines parties du monde, comme en Asie du Sud-Est et en Amérique centrale, nous conduisent à repenser notre rapport au vivant. La menace d’un monde en pénurie hydrique est devenue une réalité à Sanaa, au Yémen, la première capitale sans eau, et des pénuries temporaires se sont déjà manifestées à São Paulo au Brésil, à Pékin, au Caire, à Moscou ou à Mexico, sans parler des villes du continent africain, particulièrement touchées par la sécheresse. 

En réaction, plusieurs courants intellectuels ont tenté depuis une trentaine d’années d’analyser cette situation. L’écologie profonde a commencé par remettre en cause la conception utilitariste de la nature, à travers la défense de la valeur intrinsèque des êtres vivants et de la nature, indépendante de leur utilité pour l’homme. L’antispécisme poursuit cette démarche en refusant de placer l’être humain au-dessus des autres espèces de l’ordre naturel. L’humanisme écologique tente, à partir de cette double déconstruction, de penser les conditions d’un nouvel humanisme qui intègre l’homme dans la biodiversité sans l’y soumettre. 

Deux démarches distinctes émergent de ces questionnements : le développement durable veut concilier croissance économique et respect de l’environnement. La collapsologie pense pour sa part l’effondrement de la civilisation industrielle et tente de définir ce qui pourrait lui succéder. Dans les deux cas, la principale leçon de René Dumont semble avoir été intégrée : l’écologie n’est plus une option, elle est devenue une urgence et un impératif pour notre temps. 

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