Les mouvements écologistes ont popularisé la légende amérindienne du colibri : lors d’un immense feu de forêt, les animaux, terrifiés, observent impuissants le désastre. Seul le petit colibri s’active pour aller chercher de l’eau dans son bec et la jeter sur le feu. Au toucan au gros bec qui lui demande s’il n’est pas fou, puisqu’il ne parviendra pas à éteindre le brasier avec ces quelques gouttes, le colibri répond : « Peut-être, mais je fais ma part. » 

Au cours des dernières années, les colibris se sont multipliés dans nos sociétés, et avec eux la conscience du péril écologique, de la catastrophe climatique qui nous guette. Les cassandres de naguère ont fini par être entendues – à défaut d’être encore écoutées –, si bien que la question écologique envahit désormais notre horizon de pensée. Et le score de la liste d’Europe Écologie Les Verts lors du scrutin européen, qui l’a placée au premier rang chez les 18-34 ans, a rappelé combien la question était devenue prioritaire pour la jeunesse de notre pays. Il n’est plus possible aujourd’hui de ne pas en tenir compte. Et tous, partis politiques, grandes entreprises, mouvements syndicaux et même associations de chasseurs, se drapent désormais dans la bannière « écolo ». Mais que cache ce nouvel habit vert ? Si, selon la formule de Sénèque, « on n’est nulle part quand on est partout », quel crédit accorder à ces positions qui fleurent bon parfois l’écoblanchiment ? Et, surtout, quel sens prend dans la bouche de chacun cette notion passe-partout qu’est l’écologie ? Car, du localisme à la décroissance, de l’écoféminisme au survivalisme, de l’antispécisme au développement durable, de l’écologie de marché à l’écosocialisme, c’est à cinquante nuances de vert que les citoyens ont aujourd’hui affaire. Pour s’y retrouver dans cette jungle de concepts, ce numéro du 1 revient sur les avatars multiples de la pensée écologique, pour en expliquer les fondements théoriques, les figures historiques, les enjeux principaux. En comprendre, aussi, les dissensions profondes qui minent souvent le combat pour l’environnement.

Revenons à la fameuse légende du colibri, popularisée par Pierre Rhabi, et dont il existe un autre dénouement : à force de porter seul tant d’eau, le colibri finit par mourir d’épuisement, sous le regard des autres animaux trop captivés pour échapper au brasier. Rappel salutaire que les initiatives éparses, si vertueuses soient-elles, ne suffiront pas à empêcher le désastre. Et que seule une mobilisation à l’unisson peut faire espérer un débouché politique. 

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