Les populistes sont divers et, en même temps, partagent un air de famille. En Europe, ils sont de gauche, de droite, ni de gauche ni de droite, progressistes ou conservateurs, régionalistes ou nationalistes. Leurs bribes d’idéologie, leurs caractéristiques sociologiques, leurs formes d’organisation, leurs stratégies, leurs conceptions du peuple et de la nation divergent.

Toutefois, tous considèrent qu’un seul clivage fonde la politique, l’économie, la société : celui opposant face à face deux entités homogènes, qui se confrontent et s’affrontent. D’un côté, le peuple supposé bon, pur, vertueux, sain, porteur de vérité et d’espoir. De l’autre, les élites dominatrices et corrompues. Elles simulent des désaccords qui ne seraient que factices, utilisent à leur avantage leurs médias pour justifier leurs actions et complotent en permanence contre le peuple. Elles forment une oligarchie moderne, une caste mondialisée accusée d’avoir liquidé les intérêts de leurs nations respectives et, d’après les populistes de droite, de favoriser la venue d’immigrés. Il s’agit donc de s’en débarrasser avec le « peuple-Un », suivant la formule du philosophe Claude Lefort, qui l’employait pour analyser le totalitarisme et que s’approprient désormais nombre de spécialistes du populisme. Selon les populistes, le peuple doit non seulement reprendre sa parole confisquée, mais encore exprimer dans le cadre national sa volonté générale, qui ne saurait être limitée par des contre-pouvoirs qui entravent l’accomplissement de son destin. Ils prétendent incarner le peuple et fustigent ses ennemis, ceux qui osent s’opposer à eux.

Le populisme n’est pas un problème pour la démocratie ; il est l’expression d’un problème de la démocratie

De la sorte, ils nient potentiellement l’institutionnalisation du conflit, l’altérité dans la société, le pluralisme politique. Pourtant, à la différence de la plupart des populistes du passé décidés à instaurer des régimes autoritaires, ils se présentent comme les meilleurs défenseurs de la démocratie. De fait, ils l’approuvent en toutes circonstances, réclament l’usage continu du référendum et prônent la démocratie directe. Ils bousculent la démocratie libérale et représentative tout en affirmant respecter ses règles. Mais point son esprit libéral.

Le populisme n’est pas un problème pour la démocratie ; il est l’expression d’un problème de la démocratie, de nos démocraties européennes, au-delà des spécificités de chaque membre de l’Union européenne. Des démocraties dans lesquelles les inégalités de toute nature se creusent. Où la diversité de nos sociétés suscite des interrogations, voire un profond malaise. Des démocraties marquées par la généralisation – dont l’intensité varie selon les pays – de la défiance envers la politique, les politiques, les institutions. Cela constitue l’humus sur lequel les populistes croissent, donnant toutefois des réponses différentes selon leurs orientations politiques.

Leur (résistible) ascension met en péril les démocraties, mais elle représente aussi une opportunité dont elles peuvent profiter. En particulier – car elles ont désormais l’impérieuse nécessité de se rénover en profondeur – pour réformer leurs institutions, élargir leur base, multiplier les expériences de démocratie participative, modifier la composition de la classe dirigeante en facilitant son accès à des catégories qui y sont actuellement sous-représentées (les femmes, les classes populaires, les jeunes, les nouveaux citoyens issus de l’immigration), imposer à tous les dirigeants l’éthique de la responsabilité et le devoir d’exemplarité. Sous peine de voir, tôt ou tard, les populistes au pouvoir instaurer des démocraties illibérales. 

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