Nommé Premier ministre par le roi Charles III le 25 octobre, Rishi Sunak est le premier chef de gouvernement non blanc et non chrétien du Royaume-Uni – son prédécesseur Benjamin Disraeli, Premier ministre conservateur de la reine Victoria en 1868 puis entre 1874 et 1880, était certes né dans une famille juive d’origine séfarade, mais il s’était converti à l’âge de 12 ans à l’anglicanisme, la religion d’État, à la suite d’un différend entre son père et sa synagogue. L’accession au 10 Downing Street d’un descendant de la diaspora indienne illustre l’échec du populisme outre-Manche.

Au bord de la récession, le royaume coule des jours moroses. L’inflation galope au rythme le plus élevé depuis quatre décennies. Les grèves se multiplient à l’appui de revendications salariales visant à compenser l’augmentation drastique du coût de la vie. Et, sur fond de grave détérioration de la situation économique et de mesures d’austérité draconiennes, voilà que Sunak, pur produit de l’establishment, moulé au pensionnat privé de Winchester, à l’université d’Oxford et à la Stanford Business School californienne, choisi par les députés de la majorité et dépourvu de toute légitimité électorale, arrive au pouvoir. De surcroît, ce petit-fils d’immigrés s’est enrichi dans la City avant de devenir milliardaire en épousant la fille de la deuxième fortune d’Inde.

Pourtant, pareil terreau, propice à la flambée du populisme, n’a pas vu émerger une mouvance ultraconservatrice d’extrême droite. Les partis traditionnels – Labour et Tories en Angleterre et au pays de Galles, indépendantistes écossais, duo Sinn Féin (catholiques) et unionistes (protestants) en Irlande du Nord – règnent plus que jamais en maîtres sur la vie politique.

Dans son histoire contemporaine, le Royaume-Uni n’a certes pas été épargné par le phénomène populiste. Les Chemises noires du leader fasciste et antisémite Oswald Mosley dans l’entre-deux-guerres, les émeutes anti-immigrants et les ratonnades des années 1960, la violence des hooligans du foot dans les années 1970-1980, les beaux jours de la formation nationaliste et eurosceptique Parti pour l’indépendance du Royaume-Uni (Ukip), le déchaînement d’une xénophobie ouverte lors de la campagne du référendum européen de juin 2016 sur le Brexit, tout comme l’avènement de groupuscules d’extrême droite virulemment antimusulmans l’attestent.

Fondateur de l’Ukip en 1992, le charismatique Nigel Farage a réussi à jouer les trouble-fête pendant plus de deux décennies. Lors des élections européennes de 2014 à la proportionnelle, le parti est arrivé en tête avec 27 % des voix, reléguant les conservateurs du Premier ministre David Cameron à la troisième place. À l’époque, une partie de l’électorat – populaire comme petit-bourgeois – a considéré le parti hostile à l’immigration et à l’Union européenne comme l’unique recours face au binôme conservateur-travailliste favorable à la libre-circulation des ressortissants est-Européens qui avaient afflué au Royaume-Uni.

Le triomphe de Boris Johnson a marqué le chant du cygne de Nigel Farage

Mais les divisions internes ont rayé l’Ukip de la carte politique. Le triomphe de Boris Johnson, l’architecte du Brexit, aux élections du 12 décembre 2019 a marqué le chant du cygne de Nigel Farage. « Johnson a fait rentrer le génie populiste dans la bouteille. Il a privé Farage de sa raison d’être en se drapant dans la défense du peuple supporter du Brexit contre les élites londoniennes pro-européennes qui, à l’entendre, voulaient lui voler la victoire en empêchant la sortie de l’UE », insiste Steve Richards, auteur du livre The Prime Ministers (Atlantic Books, 2019).

Comment expliquer que des mouvements économiquement protectionnistes, socialement réactionnaires et politiquement à droite toute n’aient jamais réussi à s’inscrire durablement dans le paysage politique britannique ? D’abord, le Parti conservateur a phagocyté la droite de la droite, très présente dans ses instances locales et qui pèse sur l’élaboration de son programme électoral – il en est de même au demeurant du Labour, qui a toujours su être accommodant avec l’extrême gauche en son sein : la prééminence du gauchiste Jeremy Corbyn, leader du Labour entre 2015 et 2020, le prouve.

Ensuite, le mode de scrutin uninominal majoritaire à un tour aux législatives et le vote « utile » avantagent les grands partis. Comme le démontre la déconfiture jadis du SPD social-démocrate de David Owen ou du Parti socialiste de l’ancien chef des mineurs, Arthur Scargill, les petites formations sont marginalisées. Nigel Farage a échoué à sept reprises à se faire élire député à la Chambre des communes. Un système électoral identique explique l’essor des formations régionales en Écosse ou en Irlande du Nord, qui captent le vote protestataire.

Enfin, le succès de la société multiculturelle, l’acceptation du communautarisme, la tradition de tolérance et l’existence du Commonwealth, la grande famille d’outre-mer regroupant les ex-dominions et les anciennes colonies, ont évité les crispations à la française. Rishi Sunak a été un Brexiteer pur et dur lors du référendum de 2016, au nom de la défense du souverainisme. Le député du Yorkshire a défendu bec et ongles le dessein planétaire et non pas européen du royaume. Il n’a jamais mis en exergue l’histoire sanglante du Raj, le régime colonial britannique cruel et exploiteur qui a sévi en Inde entre 1757 et 1947. Il est fier d’être anglais, au point que ce passionné de cricket a toujours soutenu l’équipe à la rose lors des matchs tests l’opposant au XI indien. C’est tout dire… 

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