Avis de tempête sur nos démocraties : cet automne a été marqué par un puissant mouvement populiste, qui a fleuri dans les urnes sur plusieurs continents. Cent ans après la marche sur Rome de Mussolini, l’Italie est ainsi aujourd’hui dirigée par une ancienne admiratrice du fascisme. En Suède, l’extrême droite tire désormais les ficelles du pouvoir. Et en Israël, c’est bien Benyamin Nétanyahou, pourtant plusieurs fois condamné par la justice, qui a fait son grand retour en s’alliant avec les nationalistes religieux. À chaque fois, des digues ont cédé, submergées par cette vague furieuse portée par les vents mauvais de la peur, de la rage et du ressentiment.

Bien sûr, le courant populiste n’a pas tout emporté sur son passage. Au Brésil, Jair Bolsonaro a fini par s’incliner, dans un duel plus serré qu’attendu face à Lula. Et aux États-Unis, le camp républicain n’a pas provoqué le tsunami espéré par Trump et ses troupes. Mais ce sont des consolations bien amères pour leurs adversaires, tant ces scrutins ont mis en lumière deux points d’inquiétude : d’abord que les populistes, même battus, ne désertent pas le champ de bataille, et restent la pierre angulaire autour de laquelle tourne le débat démocratique ; ensuite que, d’une élection à l’autre, ceux-ci parviennent à installer une profonde défiance envers le jeu politique, contestant le verdict des urnes pour ne pas reconnaître d’autre pouvoir légitime que le leur.

Faut-il alors y voir une menace durable pour nos démocraties ? C’est en tout cas ce que craint la sociologue Eva Illouz, qui alerte dans l’entretien qu’elle nous a accordé sur la manipulation des émotions, le recul de la confiance dans les institutions ou la fin de certains tabous – comme celui de banaliser le racisme et la haine de l’étranger jusque dans les rangs de l’Hémicycle. Mais il n’y a pas pour autant de fatalité à une victoire des forces populistes sur tous les rivages. Encore faut-il saisir l’opportunité, comme le rappelle l’historien Marc Lazar, d’en comprendre le succès, pour leur opposer autre chose que des barrages symboliques. S’attaquer, par exemple, à la concentration du capital aux mains des plus aisés, aux mécanismes de reproduction sociale, à l’archipélisation de nos sociétés. Bref, retrouver non pas ce que le philosophe Claude Lefort appelait le « peuple-Un », ciment de toutes les entreprises populistes, mais un peuple uni, autour d’un destin et de défis communs. 

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