W.H. Auden n’aimait pas ce poème, il le trouvait malhonnête. Nous devons nous aimer l’un l’autre et mourir, rectifia-t-il. Mais ces vers sont parmi ses plus célèbres. Cités par le président américain Lyndon Johnson, repris en chœur après le 11 septembre 2001, ils retrouvent hélas toujours une sinistre actualité. 

Je suis assis à l’une des gargotes 
De la 52e rue 
Incertain et effrayé 
Tandis qu’expirent les brillants espoirs 
D’une décennie bassement malhonnête :  
Des vagues de colère et de peur 
Circulent au-dessus des pays 
Clairs et assombris de la terre, 
Hantant nos vies privées ; 
L’odeur tabou de la mort 
Outrage la nuit de septembre.  
 
Une recherche précise peut 
Exhumer l’outrage entier 
Qui depuis Luther jusqu’à maintenant 
A rendu folle une culture, 
Découvrir ce qui s’est passé à Linz, 
Quelle image énorme a fait 
Un Dieu psychopathe : 
Moi et le public savons 
Ce que tous les écoliers apprennent, 
Ceux à qui on fait le mal 
Font le mal en retour. […]
 
Je n’ai qu’une voix 
Pour défaire le mensonge plié, 
Le mensonge romantique dans 
Le cerveau de l’homme-de-la-rue sensuel, 
Et le mensonge de l’Autorité 
Dont les bâtiments tâtonnent au ciel : 
L’État n’existe pas, 
Et personne n’existe seul ; 
La faim ne laisse pas le choix 
Au citoyen ni à la police ; 
Nous devons nous aimer l’un l’autre ou mourir.

Traduit de l’anglais par Chantal Bizzini, revue Po&sie, n° 91, 2000, droits réservés.

 

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