Si tu fais réellement partie de l’élite,
prends garde à la manière dont tu obtiens le pouvoir.
Aussi grande soit ta gloire, quels que soient les exploits,
en Italie comme en Thessalie,
dont te créditent les cités, quelles que soient
les distinctions honorifiques
que tes admirateurs à Rome ont pu te décerner,
ni ta joie ni le triomphe ne sauraient durer
et tu n’auras plus rien d’un homme supérieur – supérieur en quoi ? –
quand à Alexandrie, Théodote t’apportera,
sur un plateau ensanglanté,
la tête du misérable Pompée.

Et ne te repose pas sur l’idée
que dans ta vie bornée, rangée et prosaïque,
rien d’aussi sensationnel ni d’aussi terrible
ne puisse se produire : en ce moment même, dans la maison
confortable d’un de tes voisins, voici peut-être
qu’invisible, immatériel – entre Théodote,
apportant une tête dont l’horreur n’est pas moindre.

Jules César se serait mis à pleurer, quand il découvrit la tête tranchée de son rival Pompée. De cet épisode antique, le poète alexandrin Constantin Cavafis tire une mise en garde intemporelle. Où l’exceptionnel s’invite dans un cadre bourgeois, et la faute prend une forme moins aveuglante, tout aussi terrifiante. 

En attendant les barbares et autres poèmes, traduit du grec par Dominique Grandmont © Éditions Gallimard, 2003

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