Quelques vitrines de boucheries brisées et taguées avec le slogan « Stop au spécisme » ont récemment fait la une de l’actualité. Aussitôt attribuées à des véganes, ces actions ont été très critiquées. Finalement, derrière le mouvement végane qui se développe en France depuis quelques années et était perçu jusqu’à présent comme fantaisiste et relativement inoffensif, se cacheraient des individus violents et intolérants. Quelques universitaires sont même venus expliquer dans les médias que le véganisme et l’antispécisme constituent un mouvement absurde qui nierait la spécificité des humains par rapport aux autres animaux. Mais ces critiques sont-elles sensées ?

Rappelons que le mot spécisme désigne l’idéologie qui fait de l’espèce à laquelle appartient un individu un critère en soi de considération morale. Un spéciste peut donc estimer, par exemple, qu’il est légitime de manger du cochon, mais pas du chat et encore moins de l’humain. Il lui suffit de décréter que le premier appartient à une espèce consommable, mais pas les deux autres. Pourtant, les cochons, avec les poulets, les vaches et les poissons que l’on consomme quotidiennement par millions en France, sont des animaux qui, comme les humains, ont une capacité à souffrir, à éprouver du plaisir, à ressentir des émotions et à vouloir préserver leur intégrité physique. Comment donc justifier qu’on les tue pour les manger alors que cela ne nous est pas nécessaire pour être en bonne santé ? Dans une société qui prétend lutter contre les discriminations arbitraires, on ne saurait bien sûr évoquer le plaisir, la tradition ou les habitudes.

C’est en constatant l’absence de justification rationnelle à cette violence que le mouvement antispéciste est né. Pour éviter tout arbitraire dans la façon de traiter les animaux, il affirme qu’il faut prendre en compte leurs intérêts. Du coup, étant donné que les poissons, vaches, cochons et poulets ont un intérêt à la fois à ne pas souffrir et à ne pas se faire tuer, le mouvement antispéciste conteste la légitimité de l’élevage, de la pêche et des abattoirs. Cette position éthique et politique remet bien sûr en cause le privilège que les humains s’arrogent depuis des millénaires de maltraiter certaines espèces selon leur bon plaisir. D’où les réactions de rejet que ce mouvement suscite. Pourtant, cette position est simplement une réponse rationnelle à une situation de violence arbitraire.

Contrairement à ce qu’avancent ses contempteurs, le mouvement antispéciste ne prétend donc pas qu’il faille considérer les animaux comme les humains. Il se définit juste comme un mouvement de justice qui entend traiter de la même manière des intérêts similaires. Comme un principe de justice ne relève jamais d’un choix personnel, mais doit s’appliquer à toute la société, ce mouvement cherche à faire tomber l’idéologie spéciste et les infrastructures qui la mettent en œuvre. Si ce sont bien des antispécistes qui s’en sont pris à des vitrines de boucheries (à ce jour, aucune enquête ne l’a démontré), c’est probablement parce que, exaspérés par l’indifférence de la société au triste sort des animaux destinés à la consommation, ils y ont vu une nouvelle façon de médiatiser leur cause. Est-ce pertinent sur un plan stratégique ? Difficile de répondre. En tout cas, il ne serait pas équitable de parler de violence à propos de ces actions sans rappeler celle, bien plus effroyable, qui s’exerce quotidiennement contre des millions de poulets, cochons, vaches et poissons… 

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