« Qu’est-ce que ça fait d’être le petit-fils de François Mauriac ? » « Est-ce que ce n’est pas trop lourd à porter ? » Voilà les deux questions que j’ai le plus entendues au cours de ma vie. À la seconde, la réponse a toujours été nette pour moi : je n’ai jamais ressenti cet héritage comme un poids, sans doute parce que je n’ai pas connu mon grand-père – il est mort un an après ma naissance – et parce que, contrairement à mon père, je n’ai pas été confronté à sa renommée de son vivant.

 

En revanche, j’ai longtemps eu le plus grand mal à répondre à la première question. J’ai toujours éprouvé des difficultés à m’approprier cet héritage, comme si c’était quelque chose d’extérieur qui m’était tombé dessus. Après beaucoup d’années, j’assume peu à peu d’avoir cette chance et cette fierté. Je dis plus facilement « mon grand-père » au lieu de « François Mauriac ». Sans le connaître, j’ai le sentiment de me familiariser avec lui.

 

Derrière le grand écrivain, j’admire aussi le journaliste. Un passage m’a marqué dans la biographie que lui a consacrée Jean-Luc Barré : avant l’indépendance du Maroc, mon grand-père reçoit des militants qui lui remettent un dossier sur les exactions des autorités françaises. Ces rencontres, ces données font évoluer sa position. Comme il l’a fait lors de la guerre d’Espagne, la Collaboration, comme il le fera sur la question de l’Algérie, il publie un article qui connaîtra un retentissement certain. J’ai ainsi compris en quoi, dans son « Bloc-notes », il était bien plus qu’un chroniqueur.

 

Ce que j’admire le plus et qui reste pour moi une leçon permanente, c’est cette capacité à se remettre en cause, à ne pas être prisonnier de sa pensée, de son milieu, à faire évoluer ses positions, non pas de façon opportuniste ou artificielle, mais de façon sincère, après avoir longuement réfléchi, lu et travaillé, recueilli des témoignages.

 

Comme descendant, j’estime essentiel de considérer l’homme dans sa lumière, mais aussi dans sa complexité et ses contradictions. En cela, mon admiration va aussi à mon père, Jean, qui vient de mourir à l’âge de 96 ans, pour la façon dont il a fait vivre sa mémoire et rayonner son œuvre dans cette globalité. Un biographe s’intéresse aux penchants homosexuels de son père, quitte à bousculer quelques tabous ? Il lui ouvrait ses archives. Lucienne Sinzelle, la fille d’ouvriers agricoles de Malagar, le domaine de mon grand-père dans le Bordelais, voulait témoigner de la dureté de ses conditions de vie d’alors, quitte à souligner l’indifférence du grand homme ? Non seulement mon père, dont elle était l’amie, enfant, l’encourageait dans ce projet, mais il contribuait à le faire aboutir.

 

Honorer la mémoire de mon grand-père, ce n’est pas la figer, c’est l’entretenir dans toutes ses dimensions. C’est encourager les travaux de recherche, c’est remercier tous les lecteurs. Voilà donc ce que je réponds aujourd’hui à la question : « Qu’est-ce que ça fait ? » C’est assumer une chance, une fierté ; c’est aussi assumer une responsabilité et contribuer, autant que possible, à être au service de la mémoire d’un homme d’exception. 

 

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