Vous m’avez possédée avant votre venue,
Vos mille précurseurs ont foulé mes chemins.
Les ronces de mon cœur griffaient leurs jambes nues
Et mes branchages fous faisaient saigner leurs mains.

Ils ont frayé la route, ils ont coupé les branches,
Atys, pour que tes pieds ne fussent pas blessés.
Mais savaient-ils que tu venais, toi, leur revanche,
M’arracher plus de pleurs qu’ils n’en avaient versé ?

Jusqu’en mes profondeurs où je fuis ta conquête,
Je ressuscite en vain ces amants d’autrefois :
J’écarte des cheveux, je soulève des têtes…
Mais ton silence, Atys, couvre toutes les voix.

Au sable intérieur je cherche des empreintes.
Tel être avait des yeux plus que les tiens ardents,
Je cherche… Mais ta main force un peu son étreinte
Et je n’ai plus de souffle, et je serre les dents.

Ô tenace douceur qui sus frayer ta route
Jusqu’où règne et gémit mon éternelle faim !
C’est votre jeune sang qu’au fond de moi j’écoute
Comme un fleuve étranger qui retentit sans fin.

Si ce ruissellement finissait dans mon être,
Si tu sortais de moi par mon flanc large ouvert,
Enfant de l’homme, Atys, saurais-tu reconnaître
Cet informe visage et ce regard désert ?
[…] 

Le Sang d’Atys
© Éditions Grasset & Fasquelle, 1940 

 

Le Sang d’Atys est le sommet de la courte œuvre poétique de François Mauriac. Un long poème sur l’amour malheureux de Cybèle, déesse de la terre, pour le jeune mortel Atys. Une méditation sur le combat de la chair et de la Grâce, sur les relations de l’homme à la nature, qui pourrait être le « vrai testament » du romancier.  

 

 

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