Un « Bataclan » pour les gays
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Un « Bataclan gay », sinon un « 11 septembre » pour les gays : la presse américaine et les militants LGBT ont déjà érigé l’attaque du Pulse, une discothèque gay d’Orlando, qui a fait quarante-neuf victimes, en date clé de l’histoire du mouvement gay mondial. Un tournant. Un milestone, comme on dit en anglais.
Le mouvement gay moderne est né en juin 1969 au Stonewall, un bar gay de Greenwich Village à New York. Quarante-sept ans plus tard, l’attentat du Pulse vient de rappeler tragiquement la fragilité de la libération homosexuelle. Faut-il en déduire que le mouvement gay entre à son tour dans le « clash des civilisations » ? Après la psychiatrie, le Vatican, le sida et les évangélistes extrémistes américains, les homosexuels viennent-ils de trouver, dans la longue marche de leur libération, un nouvel ennemi – et quel ennemi : l’islamisme radical en général et l’organisation État islamique en particulier ?
Ces comparaisons sont nécessairement hasardeuses. D’abord, parce que les motivations du tueur du Pulse restent complexes : s’y entremêlent sans doute une radicalisation islamiste et une homophobie viscérale, nouées à des ressorts psychologiques ambigus où la haine de soi a pu jouer un rôle.
Ensuite, parce que les liens entre l’Américain d’origine afghane Omar Mateen et Daech ne sont pas établis : s’agit-il d’un attentat « commandité » a priori ou, comme c’est le plus probable, seulement « revendiqué » a posteriori ? On comprend très bien, en tout cas, pourquoi l’organisation État islamiste a tenté de récupérer cette attaque : perpétrée sur le sol américain sur une cible aussi symbolique que la communauté gay, elle était trop belle pour ne pas être instrumentalisée.
Car c’est un fait que les médias mainstream ont parfois sous-estimé jusque-là : la haine de l’homosexualité est au cœur de l’idéologie de l’islamisme radical. Une dizaine de pays seulement [voir la carte en poster], possèdent des lois qui permettent la condamnation à mort des homosexuels – ce sont tous, sans exception, des pays musulmans. L’Iran a pendu des gays en public ; l’Arabie saoudite aussi, bien qu’en secret. La plupart des pays membres de l’Organisation de la coopération islamique (OCI) considèrent également que l’homosexualité est un délit qui peut être sanctionné de peines de prison.
En septembre dernier, selon l’Observatoire syrien des droits de l’homme, neuf personnes accusées d’être homosexuelles ont été exécutées à Rastan et Hraytan ; deux autres ont été également assassinées en août. La méthode privilégiée par Daech pour ces assassinats en public est de précipiter les homosexuels vivants, les yeux bandés, du toit d’une maison, avant de les faire lapider par la foule pour les achever. Les Nations unies estiment qu’au moins trente personnes suspectées d’être homosexuelles ont été exécutées par Daech.
Au-delà de ces crimes barbares d’un autre âge, la plupart des membres de groupes islamistes que j’ai pu interroger sur le terrain ces dernières années (des militants du Hamas et du Jihad islamique à Gaza, du Hezbollah au Sud-Liban ou certains Frères musulmans en Égypte) confirment que l’homosexualité est considérée par le Coran comme un crime. En Égypte, les arrestations existent, comme au Liban. Ailleurs, l’homosexualité peut conduire à des chantages, des dénonciations et plus souvent encore à des rumeurs extrêmement préjudiciables, parfois orchestrées par la presse gouvernementale (comme j’ai pu le constater en Algérie ou au Maroc).
Ce faisant, j’ai également rencontré à Téhéran, à Damas et plus encore à Amman, Tunis, Alger ou Beyrouth, des militants gays musulmans qui luttent pour les droits des personnes LGBT au péril de leur vie, parfois en subissant des insultes ou des harcèlements. Des associations comme Helem ou le mouvement laïque You Stink au Liban défendent courageusement les droits des personnes LGBT. De même, certains journalistes ou animateurs de chaînes de télévision comme Al-Jazeera, MBC ou Al-Arabiya, que j’ai rencontrés au Qatar, dans les Émirats arabes unis et en Arabie saoudite, tentent de corriger ces préjugés anti-gays et lancent courageusement certains débats progressistes.
En définitive, le débat sur la question homosexuelle n’oppose pas aussi systématiquement qu’on pourrait le penser l’« Orient » contre l’« Occident ». Parmi les forces les plus homophobes se trouvent les prédicateurs évangélistes américains et toute une partie de la haute hiérarchie du Vatican ; des forces de modernisation existent aussi au Maghreb et au Moyen-Orient. Les propositions de Donald Trump qui consistent à expulser indistinctement tous les musulmans des États-Unis sont donc absurdes et inefficaces. Mieux vaut soutenir les progressistes partout à travers le monde, quitte à interdire d’accès aux pays occidentaux les prédicateurs anti-gays les plus radicaux.
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