« Ceux qui vont tuer et se tuer souffrent de pathologies »
EntretienTemps de lecture : 7 minutes
Que vous inspirent les tueries récentes d’Orlando et de Magnanville, 49 gays tués d’un côté, 2 policiers de l’autre ?
Je travaille par comparaison, comme pour cartographier ces phénomènes. Orlando ressemble au Bataclan. C’est un massacre perpétré par un tueur en quête de purification. En matière de sexualité, l’accusation de perversion, la hantise de la souillure et la volonté de la nettoyer font partie des grands motifs brandis par les djihadistes de Daech. À mon sens, l’auteur souffrait de problèmes psychopathologiques importants. C’est une dimension qu’on refuse de voir ; elle est pourtant patente à mes yeux. Les dossiers transmis par la justice montrent la fréquence de cette pathologie. Ce ne sont pas des névrosés banals qui peuvent tuer ainsi, mais des psychotiques délirants, enfermés dans des idées fixes, avec des pulsions de haine puissantes.
Et l’assassinat des policiers ?
Leur meurtrier ressemble à Mohammed Merah. Il a le profil de ceux qui éprouvent une haine féroce envers les soldats et les policiers. On l’a vu souvent en Égypte et en Tunisie. Ils les tuent à l’arme blanche, leur coupent la tête. À Orlando comme à Magnanville, toutes les victimes ont été supprimées pour ce qu’elles étaient, gays ou policiers. Ces massacres n’expriment pas seulement une volonté de terroriser, mais aussi de provoquer l’horreur.
Les terroristes se mettent en scène. Le tueur d’Orlando faisait des selfies. Celui de Magnanville a posté des images de ses victimes sur les réseaux sociaux. Quelles sont leurs motivations ?
Pour ces tueurs, la communication est la poursuite de la terreur par d’autres moyens. Leur grande jouissance est de savoir qu’après leur mort, ils connaîtront une postérité mondiale. La dimension mégalomaniaque de ces mélancolico-paranoïaques qui se suicident est essentielle : leurs actes sont commis avec l’intention d’asseoir à jamais leur réputation. Depuis plusieurs jours, je propose qu’on mette en place un pacte, le plus large possible, pour que les noms et les photos des auteurs de ces actes ne soient pas publiés. La recherche de la notoriété est un élément décisif de leur action. Si on les rendait anonymes, on casserait une partie de leur motivation. Il faudrait ne les désigner que par leurs initiales, et ne pas diffuser leur image. Je voudrais que le gouvernement fasse campagne sur ce point auprès des médias, pour que les terroristes ne puissent plus obtenir cette notoriété qu’ils poursuivent.
Pourquoi ne prend-on pas en compte la dimension psychopathologique des terroristes ?
Je vois plusieurs raisons à cela. D’abord, on part trop de l’idéologie, du discours, et non des individus. La façon de penser des sociologues domine le regard porté sur ces phénomènes. Du coup, on raisonne dans le global, même quand ça ne colle plus à la réalité. Or, aujourd’hui, les candidats au djihad ne sont plus seulement issus des classes pauvres mais aussi des classes moyennes, voire aisées. Il faut creuser pour savoir qui ils sont, quelles sont leurs trajectoires. Il faut mener des expertises approfondies, et non à la va-vite, pour mieux les connaître.
L’autre raison, c’est qu’en mettant en avant la dimension pathologique des auteurs d’attentats, on laisserait penser qu’on les excuse, qu’on les dédouane. Voilà pourquoi, selon moi, on ne veut pas voir la réalité. Erreur ! Ce n’est pas parce qu’on souffre d’une pathologie que l’on n’est pas responsable. Voyez le tueur de Magnanville. Il a assassiné le policier et sa compagne. Puis il a envoyé des photos. Il était en mesure de raisonner. Il avait le sens de la réalité de ce qu’il faisait. Il était donc responsable de ses actes.
Quelles sont les conséquences de ce refus de voir la réalité ?
Si l’on se cache les ressorts psychiques, on n’a pas les moyens de repérer les plus dangereux. Le problème de la police, ce sont ses outils d’analyse. Quand on dit que 10 000 personnes sont signalées comme radicalisées, qui surveiller ? Il faut resserrer la cible. Les outils utilisés ne peuvent être uniquement policiers. Il faut pouvoir détecter par une analyse fine les personnes les plus dangereuses, mais les outils manquent. Les auteurs des deux derniers attentats étaient connus de la police. Il faut se poser la question qu’on ne se pose pas : s’ils ont été repérés avant, pourquoi n’a-t-on pas pu détecter qu’ils étaient dangereux ? Réponse : nos outils ne sont pas adéquats.
Existe-t-il des traits communs permettant de déceler cette dangerosité ?
Beaucoup d’auteurs d’attentats ont un passé de délinquant. Ils cherchent à sacraliser leurs pulsions criminelles, à les ennoblir. Ils trouvent dans l’idéologie islamiste le moyen d’être des hors-la-loi au nom de la loi divine. Ils ont cherché à se recycler dans une cause plus noble qui les transforme en héros, en hommes supérieurs reconnus par les leurs. Puis vient le statut de martyr auquel ils croient : aller au ciel, devenir proche de Dieu, devenir surhumain. Beaucoup sont des suicidaires. On sous-estime cette dimension. Nombre de ces jeunes ont connu des traumatismes, des environnements familiaux et sociaux défaillants. Ils ont rencontré, parfois par hasard, au pied de leur immeuble, au bistrot, un groupe qui leur a apporté de la reconnaissance et les a confortés dans leur sentiment d’être des victimes.
Délinquants suicidaires. Les terroristes seraient d’abord des malades ?
Mon hypothèse est qu’une partie importante d’entre eux relèvent d’états psychologiques graves, qu’ils ont voulu traiter – au sens de soigner – par la violence. Les situations se recouvrent parfois : on peut être délinquant, suicidaire, et avoir des problèmes psychologiques graves. Ceux qui vont passer à l’acte, tuer et se tuer, souffrent de pathologies lourdes liées à des états paranoïaques mélancoliques. Les écoutes téléphoniques de la mère d’un des kamikazes du Bataclan, récemment publiées par Le Monde, sont parlantes. Cette mère dit de son fils qu’avant les attentats, elle pensait qu’il allait se suicider. Elle donne une description de lui qui recouvre ce qu’on appelle la psychose maniaco-dépressive. Ces jeunes, à travers l’engagement radical, croient trouver un remède à leur mal. S’ils se sentent autorisés à tuer, cela peut avoir un effet dramatique. Le tueur de Magnanville a dit qu’il s’était senti obligé de tuer en raison d’un ordre entendu à la télévision.
Comment évaluer la dangerosité d’un individu radicalisé ?
Il faut construire des outils d’analyse et d’intelligence. Pour se défendre, il faut arrêter les discours généralistes. Se contenter d’analyses faites à partir du Coran ou du discours de Daech, ce n’est pas pertinent. Il faut descendre au niveau microscopique de l’individu.
Quels seraient les outils les plus efficaces ?
Nous sommes face à un nouveau danger. On en a connu d’autres avant, qu’on a combattus par la prévention, la connaissance, le savoir. Quand apparaît une maladie nouvelle, on désigne des spécialistes pour dégager un savoir et un savoir-faire. C’est la même chose pour les fléaux sociaux. Il faut réunir des chercheurs de plusieurs disciplines qui vont examiner des cas concrets et non des discours dans l’absolu. C’est à travers les cas qu’on peut avancer. Quand on a compris les processus, on peut agir. J’invite le gouvernement à constituer une force de travail de scientifiques qui étudient de près des cas réels. Il faut que des psychologues, des psychiatres, des sociologues, des historiens œuvrent de concert.
En quoi est-ce un nouveau danger ?
Nouveau car, avec cette offre radicale, il s’est ouvert une voie qui peut capter la négativité de jeunes en difficulté, leur donner l’illusion de pouvoir répondre à leurs problèmes et en tirer une jouissance. C’est comme la toxicomanie ou la délinquance, mais ce nouveau fléau est bien plus dangereux car il produit des tueurs.
Propos recueillis par ÉRIC FOTTORINO
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