Peu d’années auront été rompues, comme 2020, en morceaux irréguliers, laissant bien des vies en miettes. Mais la résistance s’est organisée et ici, au 1, nous avons décidé d’aligner, pour faire pièce au virus tueur, toute une armée de bonnes bactéries connues sous l’appellation de ferments. Sans ferments, pas de pain, pas de vin, pas de fromage (et pas non plus de bière ou de yaourt). Les humains ont toujours travaillé et vécu avec les ferments. Il se trouve que les habitants des milliers de terroirs qui forment la France ont développé avec ces micro-organismes bénéfiques une complicité exceptionnelle. Nous leur devons ce pain chaud qui croustille, ces vins qui caressent ou pétillent, ces fromages qui embaument (empestent, diront certains), bref, une bonne partie de ce qui fait aimer notre pays.

Pour célébrer cette trilogie – osons dire cette trinité –, il nous faut bien trois numéros du 1. « Le goût du pain » est le premier ; suivront « Le goût du vin » et « Le goût du fromage ». À tout seigneur, tout honneur : le pain, c’est la vie, qu’il soit fait à partir de blé ou d’autres farines. Les chasseurs-cueilleurs ont réussi à s’en passer, c’est vrai. Et le pain n’est pas propre à la France, bien sûr. Ce qui nous est particulier, c’est le mélange de produits, de savoir-faire, de corporatismes, de dirigisme et d’illusions dont résulte notre fameuse baguette (mélange qu’on retrouvera pour le vin et le fromage). L’historien américain Steven Kaplan, le meilleur connaisseur du pain français, nous le raconte par le menu dans l’entretien qu’il nous a accordé.

La filière du pain est présente avec le créatif boulanger parisien Anthony Courteille ou le meunier Alexandre Viron, qui ne l’est pas moins. Mais le peuple des mangeurs de pain est là aussi, qui fascine les anthropologues d’hier, comme Élie Reclus, ou d’aujourd’hui, comme Abdu Gnaba. Que cherchons-nous dans le pain ? Quelque chose de profond. En dépit de toutes les facilités offertes par le XXIe siècle, certains font le choix de se mesurer en personne à ce produit difficile à maîtriser – parce qu’issu d’une fermentation, parce que vivant. Alors ils apprennent à faire le pain, dans un fournil de boulanger ou à la maison.

Notre relation mystérieuse avec les aliments, et d’abord avec le pain, est merveilleusement résumée dans Alexis Zorba, le roman dont fut tiré le film Zorba le Grec. « Quelle drôle de machine que l’homme ! y écrit Nikos Kazantzakis. Tu la remplis avec du pain, du vin, des poissons, des radis, et il en sort des soupirs, du rire et des rêves. » 

 

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