Cuisiner le pain, c’est l’idée simple d’Anthony Courteille. Depuis son ouverture en avril 2019, la boulangerie Sain propose une variété de « pains cuisiniers » qui font sa signature. Les recettes changent selon les saisons. Des pains aux petits pois et à l’estragon, ou aux pignons et à la tapenade, croisent sur les étals ceux au cresson et à la feta. Décoctions et assaisonnements accompagnent les étapes de préparation des pains. « Je veux les remettre au centre de la table et redonner aux pains ses lettres de noblesse », explique Anthony Courteille.

La quarantaine et la tête pleine de projets, il a voulu faire de sa boulangerie « un laboratoire, quelque chose de pratique : on y travaille, on y apprend, on y expérimente ». Des touristes participent à des ateliers découverte et repartent avec un pochon de viennoiseries, des amateurs y viennent pour apprendre à améliorer leur pain fait maison. « Certains se confrontent à la réalité du métier. Ils pensent à la reconversion. Et heureusement qu’ils sont là. Toute la boulangerie manque de main-d’œuvre. Pour moi, c’est un moyen de la revaloriser, affirme le cuisinier-artisan au timbre chaleureux. Un croissant, c’est vingt-quatre heures de travail. Il faut faire comprendre la valeur des choses. »

L’équipe d’une dizaine de boulangers, de pâtissiers touriers, d’apprentis et de vendeuses travaille tous les jours dans la boutique située à mi-chemin entre l’hôpital Saint-Louis et le canal Saint-Martin, dans le Xe arrondissement de Paris. « La clientèle, ce sont les habitants du quartier ou le personnel de l’hôpital, ils viennent ici pour se faire plaisir », explique le patron de l’établissement. Le temps du confinement, c’est lui qui accueillait à la caisse. Les murs en brique sont peints en blanc, l’enseigne du magasin, monochrome, figure sur un mur latéral, au pied duquel sont entreposés les sacs de farine. Ni porte, ni vitre, ni obstacles : la boutique et l’atelier forment un même espace à portée de regard des clients.

La vente se fait au comptoir. Les pains, tous pétris à la main et levés au levain, sont entreposés et exposés derrière sur une rangée d’étagères en bois brut. Le « Saint-Martin » y figure en bonne place. Cette miche de pain à l’apparence rustique est devenue le produit phare de cette boulangerie. Ses 850 grammes de blé paysan et de farine de châtaigne portent une scarification simple, en forme de croix. À trois mètres à peine, sur des pétrins en bois à l’ancienne, les boulangers malaxent la pâte à pleins bras. D’autres, équipés de longues pelles, mettent les pains à cuire dans un four imposant. Dans l’escalier qui mène au sous-sol, touriers et pâtissiers se croisent et s’évitent avec des plateaux chargés de gâteaux et de viennoiseries. C’est un ballet de jambes, de bras et de corps.

Le parcours d’Anthony Courteille est atypique. Il s’est formé à la boulangerie de 15 à 19 ans et a servi comme pâtissier tourier dans les hôtels huppés de Brighton en Angleterre, avant de rejoindre la restauration. « Je me suis retrouvé dans des brigades de 40, 50 personnes, c’était extrêmement vivant. » De retour en France, il continue à travailler en cuisine avant d’ouvrir son restaurant, Matière à… à l’endroit même où se tient désormais sa boutique.

Il faut le voir, alerte, corps râblé, crâne rasé et barbe de trois jours, raconter comment il a décidé de redevenir boulanger, mais à sa manière à lui. Anthony Courteille a baptisé sa boulangerie Sain. Tout un programme : priorité au goût, à la créativité et à la santé – les blés anciens qu’il utilise contiennent relativement peu de gluten. Mais il tient surtout à une façon ancestrale de travailler le pain, entièrement à la main. Avant tout, pas de baguette. À Paris, les boulangeries mécanisées produisent jusqu’à mille unités par jour. Impossible de rivaliser en pétrissant, divisant et façonnant à la main. Pierre, l’apprenti de la boulangerie, fait ses études à l’EBP, l’École de boulangerie et de pâtisserie de Paris. Dans sa promotion, ils ne sont que sept. « C’est bien qu’il y a un problème quelque part, juge Anthony Courteille. Le métier ne fait plus envie aux jeunes. Il faut qu’ils y trouvent du sens. » À ses yeux, les boulangers sont devenus des « ouvriers des moulins ». On leur apprend à produire plus et à moindre coût. « Les moulins procurent les farines et le guide pour produire du pain clé en main. Moi, je veux faire un pain qui a une personnalité. Je cherche à retrouver une richesse et une variété dans le métier de boulanger. »

Dans les écoles et les boulangeries où il a été formé dans les années 1990, on n’apprenait pas à travailler le gluten, se rappelle-t-il. C’est pourtant ce qui fait la bonne tenue du pain. Et on apprend encore moins, selon lui, à travailler le levain et la fermentation. Il constate : « Nous sommes à une époque où on peut faire du pain en deux heures, mais on y perd en goût, en fermeté, sans parler du taux de gluten qui a augmenté. Il faut du temps pour faire un bon pain. »

Dans sa boulangerie, la confection du pain prend vingt-quatre heures. À 4 heures, les premiers arrivés travaillent la pâte pour le lendemain. À 8, on met au four les pâtes préparées la veille pour environ trois quarts d’heure. La boulangerie est fournie en blé paysan de différentes variétés. Aux yeux du maître des lieux, « chacune a ses propriétés et son goût, comme les cépages de vin ». Les pâtes à base de levain sont pétries à la main, hydratées selon leurs besoins. Mais travailler sans adjuvant et sans levure signifie aussi se plier aux aléas : un temps orageux, et le pain d’une fournée sortira aplati. « Ça fait partie du métier, explique Anthony Courteille. Si une fournée est mauvaise, on recommence le lendemain et on progresse. Je me forme tous les jours. » Ici, être boulanger, c’est avant tout toucher la pâte, la sentir et apprendre à l’accompagner.

Durant l’épidémie, la vente en boutique a permis de préserver quelques rentrées, mais le gros du chiffre d’affaires – la clientèle d’une quarantaine de restaurants parisiens en temps ordinaire – a souffert. Un projet d’extension de la boulangerie est mis en veille. En attendant des jours meilleurs. 

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