La mascarade est bientôt finie. Après six mois d’atermoiements, de tergiversations, de déclarations hésitantes ou contradictoires, la France a peu à peu imposé au cours de l’été le masque dans son espace public. D’abord obligatoire dans les seuls transports publics, celui-ci a étendu son règne au fil des semaines dans les magasins, les administrations, les principales artères des centres-villes, et bientôt dans les entreprises. Une volte-face marquante, rendue nécessaire par le frémissement d’une seconde vague, attendue plutôt à l’automne, et surtout par l’obsession d’un reconfinement généralisé dont personne ne veut, puisqu’on en connaît désormais le coût social et humain exorbitant. Après l’avoir beaucoup réclamé au printemps, les Français n’ont d’ailleurs pas rechigné à arborer le masque cet été, plus des deux tiers d’entre eux se montrant même favorables à son usage obligatoire à l’extérieur. Il faudra pour cela encore vaincre les dernières zones de flou qui subsistent, les règlements baroques et les décisions partielles, afin d’apporter de la clarté là où plane bien souvent la confusion.

Mais s’il faut accepter de se cacher le visage, il ne faut pas non plus se voiler la face : les masques ne peuvent, seuls, mettre un coup d’arrêt à l’épidémie. Parce qu’ils ne sont pas utilisés en permanence, parce qu’ils le sont parfois mal, ils ne peuvent être qu’un pis-aller dans la lutte contre le Covid-19, un outil de prophylaxie sociale tout juste censé ralentir la propagation du virus. Et, en l’absence de thérapie curative, il faudra sans doute s’habituer à les porter longtemps, au moins jusqu’à l’arrivée d’un vaccin à l’efficacité prouvée. S’habituer, donc, à ce monde aux airs de mauvais carnaval, où chacun se trouve dedans-dehors, se confine derrière un bout de tissu pour mieux se rapprocher des autres. S’habituer, aussi, à cette vie bancale où l’avenir tout entier paraît bouché, à force d’incertitudes et de projets avortés, dans la sphère professionnelle comme dans le cercle privé. Dans un texte éclairant, le psychiatre Christophe André rappelle dans ce numéro du 1 ces mots de Marguerite Yourcenar : « Le bien comme le mal est affaire de routine, le temporaire se prolonge, l’extérieur s’infiltre au-dedans, et le masque, à la longue, devient visage. » Reste à savoir quelle forme prendra ce visage dans les prochaines semaines. La mascarade est bientôt finie, mais notre drôle de bal masqué ne fait que commencer. 

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