La bataille de l’info
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Au sujet de Gaza, « la guerre informationnelle », pour reprendre une expression en vogue, est, elle aussi, « asymétrique ». Israël dispose de moyens de communication beaucoup plus importants que son adversaire, d’une expérience médiatique ancienne et de relais très efficients dans le « monde occidental », en Amérique du Nord et en Europe. L’État juif est aussi en mesure d’interrompre, selon son gré, les communications téléphoniques et les accès à Internet à partir de Gaza, et il ne s’en prive pas. Ce que les Palestiniens sont, évidemment, dans l’incapacité de faire subir aux Israéliens.
Mais les Palestiniens – et à un degré moindre le Hamas – bénéficient souvent, surtout dans les pays dits « du Sud », d’une image de peuple défendant ses droits légitimes beaucoup plus favorable que celle de l’État d’Israël, qui se dégrade de plus en plus depuis au moins deux décennies. De fait, les deux adversaires ne s’adressent pas aux mêmes publics. L’un parle en priorité à ses soutiens : les pays occidentaux, leurs élites et leurs opinions publiques. L’autre vise d’abord l’opinion des pays arabes et, dans une moindre mesure, celle des pays importants au niveau régional (la Turquie, l’Iran…).
Les gouvernants israéliens n’ont jamais hésité à doter les organes de la hasbara de moyens considérables
Côté israélien, l’expérience de longue durée a pour nom « hasbara ». Ce terme hébraïque est devenu familier à quiconque s’intéresse aux divers conflits d’Israël avec ses voisins arabes qui ont émaillé son histoire. Hasbara signifie littéralement « explication », mais de fait ce terme désigne la communication, ou plutôt ce que les Anglo-Saxons nomment la public diplomacy, la diplomatie d’influence, avec son martèlement d’« éléments de langage » préétablis destinés à formater les opinions publiques. Les gouvernants israéliens n’ont jamais hésité à doter les organes de la hasbara, en Israël même et, surtout, à travers le monde, de moyens considérables. Depuis des décennies, la machine est bien huilée. Lorsqu’un attentat ou un autre événement advient, me racontait un correspondant français en Israël durant la seconde intifada (2000-2006), « dans les dix minutes, un responsable de la hasbara vous appelle et vous demande : “De quoi avez-vous besoin ? Qui voulez-vous rencontrer ?” Le discours est instantané, rodé ». Côté palestinien, ces « explications » sont quasi inexistantes, peu précises, et souvent tardives.
Si l’on excepte les réseaux sociaux, certes importants, la seule arme efficace dont dispose la cause palestinienne se résume à la chaîne Al-Jazeera, qui diffuse évidemment en arabe, mais aussi en anglais.
Bref, la machine est efficace. Conséquence aujourd’hui, parmi cent autres : quand le Hamas ainsi que d’autres voix suspectes – parfois pour le seul fait d’être palestiniennes – sont interdits de parole sur Facebook, Instagram, YouTube, TikTok et d’autres plateformes, il ne viendrait l’idée à personne de censurer l’accès au compte de l’armée israélienne sur X (l’ex-Twitter). Pour promouvoir sa parole, mais aussi ses images, le Hamas s’est rabattu, lui, sur Telegram, le service du Russe Pavel Durov, basé à Dubaï, qui accueille beaucoup moins d’abonnés que ses concurrents occidentaux réunis.
De fait, si l’on excepte les réseaux sociaux, certes importants, la seule arme efficace dont dispose la cause palestinienne se résume à la chaîne Al-Jazeera, qui diffuse évidemment en arabe, mais aussi en anglais. La chaîne qatarie, dont la vedette Shireen Abu Akleh a été tuée en 2022 par une balle israélienne à Jénine, en Cisjordanie, et qui a vu ses locaux bombardés lors de l’opération israélienne de 2021 à Gaza, est d’ailleurs aujourd’hui la seule fortement menacée de se voir retirer son accréditation par Israël.
La force d’Al-Jazeera réside dans le fait qu’elle est présente en Israël comme dans les territoires palestiniens, bénéficiant, au niveau des effectifs de ses équipes, d’un avantage important sur ses concurrents européens ou américains dans la couverture de l’actualité à Gaza. Ainsi disposait-elle de générateurs suffisamment puissants pour lui permettre de continuer à diffuser, même durant les phases de coupures totales d’électricité imposées par l’armée israélienne. Alors que les autres médias montrent peu d’images des destructions à Gaza, que ce soit parce qu’ils manquent de personnel ou que les autorités israéliennes les interceptent pour éviter leur diffusion, Al-Jazeera est la seule à en capter et à en diffuser en quantité. Ce qui n’en fait pas un parangon d’honnêteté journalistique : les images des victimes du massacre perpétré par le Hamas le 7 octobre ont été diffusées par la déclinaison anglophone de la chaîne qatarie, mais pas par sa version arabe…
Planet Labs refuse à ses abonnés « l’accès aux images haute résolution de Gaza depuis le 22 octobre », date à partir de laquelle l’armée israélienne y a intensifié ses bombardements quotidiens.
Enfin, s’il est un domaine médiatique dans lequel Israël dispose d’un avantage quasi absolu, c’est celui du contrôle des images satellite et de leur qualité. Le chercheur et reporter indépendant américain Maxwell Tani a publié, le 6 novembre, un article passionnant intitulé : « Les sociétés de satellites restreignent les images de Gaza ». Il y montre, en détail, comment les grands fournisseurs de photographies satellite, Planet Labs, Maxar et autres, qui ont « révolutionné la collecte d’informations », ont accédé aux requêtes de ne pas diffuser leurs clichés aux médias à la demande de certains gouvernements.
Ainsi, Planet Labs refuse à ses abonnés « l’accès aux images haute résolution de Gaza depuis le 22 octobre », date à partir de laquelle l’armée israélienne y a intensifié ses bombardements quotidiens. Après le déclenchement de la guerre en Ukraine, les sociétés d’imagerie satellitaire avaient largement participé, avec le soutien de Washington, à diffuser auprès du grand public « des images qui, auparavant, n’auraient été accessibles qu’aux militaires », écrit le chercheur. « Mais la situation à Gaza s’est révélée plus sensible. […] Elle a contraint les entreprises à un exercice d’équilibre délicat : tenter de fournir des informations utiles à des organes de presse enthousiastes tout en restant dans les bonnes grâces du gouvernement fédéral, qui est également un client important ». Bref, il suggère que la Maison-Blanche serait intervenue pour réduire l’accès à l’information des médias. À la demande d’un gouvernement allié ?
« Dans la guerre de l’information, la perception prime »
David Colon
Auteur de nombreux ouvrages sur la propagande et les manipulations de masse aux xxe et xxie siècles, l’historien David Colon analyse les méthodes et les moyens -– asymétriques – déployés par les protagonistes du conflit et leurs divers relais afin de rallier les esprits à le…
[Échange]
Robert Solé
– C’est une horreur.
– Oui, une horreur et une honte. Je n’en dors pas la nuit.
– Moi non plus. Toutes ces images, tous ces témoignages font dresser les cheveux sur la tête.
– On est en pleine barbarie.
Menaces sur le libre arbitre
Aurélie Jean
La numéricienne Aurélie Jean montre comment les réseaux et leurs algorithmes amplifient les tensions suscitées par le conflit.