C’est un mot qu’on avait presque oublié, relégué dans des temps anciens où l’on ne savait encore rien des taux négatifs. Le retour brutal de l’inflation renvoie le monde, et l’Occident notamment, près de quarante ans en arrière. ­Partout, les prix grimpent, dopés par la guerre en Ukraine, bien sûr, qui crée des pénuries alimentaires et énergétiques, mais aussi par la surchauffe d’un monde où l’offre n’arrive plus à suivre une insatiable demande. Certes, la France n’est pas la plus mal lotie, avec une inflation encore contenue à 4,8 % en avril, contre 7,4 % pour la zone euro et 8,3 % aux États-Unis. Mais cette exception hexagonale peut s’expliquer par le blocage des prix de l’énergie, qui voit une partie de la hausse des tarifs réglée par les deniers publics. Surtout, on aurait tort de s’arrêter à ce seul indice, tant il masque des inégalités profondes dans la façon dont l’inflation touche les ménages, selon leur situation sociale ou territoriale.

Le nouveau gouvernement l’a bien compris qui, à dix jours des législatives, a d’ores et déjà annoncé un projet de loi dit « pouvoir d’achat », présenté en Conseil des ministres juste après les élections. Celui-ci prévoit la prolongation du bouclier énergétique jusqu’à la fin de l’année et de la remise à la pompe jusqu’au milieu de l’été, la mise en place d’un chèque alimentaire de 50 à 60 euros par mois pour les foyers les plus fragiles, ou encore le triplement de la « prime Macron », jusqu’à 3 000 euros défiscalisés. Sans oublier l’indexation des pensions sur l’inflation ou la revalorisation du point d’indice des fonctionnaires. Devant la flambée des prix, c’est donc l’État qui joue au pompier de service pour éteindre l’angoisse qui grimpe, à mesure que le porte-­monnaie se vide. Mais jusqu’où pourra-t-il tenir ce nouveau « quoi qu’il en coûte » ? Et est-ce bien, d’ailleurs, la meilleure politique à mener ?

Déjà la colère gronde en Égypte, en Argentine ou au Sri Lanka

Dans ce numéro du 1, plusieurs économistes confrontent leurs regards sur l’ampleur de l’inflation cette année et les réponses à lui apporter. Ensemble, ils dessinent les contours d’une période encore incertaine, au mieux de transition délicate, au pire de sévères turbulences, où les prix, les taux et les salaires risquent de se faire la courte échelle. Une pyramide instable qui menace une économie mondiale marquée par un fort endettement, et dont l’effondrement coûterait très cher aux plus précaires. Déjà la colère gronde en Égypte, en Argentine ou au Sri Lanka. Comme un écho à l’avertissement d’Ernest Hemingway, qui disait de l’inflation qu’elle apportait, comme la guerre, « prospérité temporaire et ­destruction indélébile ». 

 

Illustration JOCHEN GERNER

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