« Amaigris, décharnés, la plupart des Budapestois ressemblaient étrangement, pendant ces mois d’inflation, à ces figures de traités d’anatomie représentant la structure du corps humain, sans chair ni graisse. Ils enduraient des privations physiques bien plus cruelles que lors du siège où ils avaient vécu sur les réserves alimentaires qu’ils avaient eu la précaution de constituer et que, solidaires malgré eux devant le danger commun, même les plus égoïstes et les plus prudents avaient été contraints de partager avec leurs compagnons de malheur. Dans la misère inflationniste, en revanche, une telle solidarité était inconnue. Dès lors qu’il ne s’agissait plus de sauver sa vie tout court, mais de préserver l’Argent et les Biens, l’égoïsme, inexorablement, avait repris le dessus. L’inflation, cette invisible hémophilie, avivait le ressentiment. »

 

Mémoires de Hongrie (1972), Sándor Márai, trad. Georges Kassai et Zéno Bianu, Albin Michel, 2004

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