En novembre 2021, alors qu’une pression inflationniste se faisait jour, la FED, la banque centrale américaine, assurait qu’il s’agissait d’un phénomène « transitoire », quand d’autres économistes estimaient que nous n’en étions qu’au début. Ce débat-là est désormais dépassé. Les faits sont parlants : l’inflation a atteint 7,5 % aux États-Unis en 2021, le plus fort taux depuis quarante ans. Un an avant, elle se situait à… 1,2 %. Hier encore, les experts annonçaient une stabilisation à 8,5 % cette année. Or ce rythme a été dépassé en mars et personne ne se risque plus à pronostiquer quand la hausse sera enrayée.

Joe Biden semble regretter d’avoir été trop modeste dans le plan de relance pris à son entrée à la Maison-Blanche et qu’avaient rogné les républicains. Aujourd’hui, il explique les difficultés économiques de l’Amérique par les conséquences de la guerre en Ukraine sur l’énergie et sur l’approvisionnement en biens des Américains. « Ce n’est pas la faute à Poutine », rétorque Kevin Hasset, un ex-conseiller économique de Donald Trump. Le Wall Street Journal acquiesce. Fidèles à leur doxa, les républicains accusent Biden d’avoir été trop dispendieux. On est dans la politique. Car les deux ont en partie raison. Oui, l’inflation avait commencé de grimper avant la guerre en Ukraine. Mais, oui, Poutine a bien aussi très fortement contribué à son aggravation.

Personne ne se risque à pronostiquer l’enrayement de la hausse

Foin d’affrontements politiciens, le débat de fond qui monte aux États-Unis ne concerne pas uniquement les « techniques » propres à juguler l’inflation. Il touche aussi au modèle de fonctionnement de l’économie américaine – et même mondiale – et tourne autour de deux thèmes majeurs. Le premier est la pérennité de la mondialisation. Larry Fink, le PDG de BlackRock, la plus grande société au monde de gestion d’actifs, écrit à ses actionnaires que « l’invasion russe de l’Ukraine met fin à la mondialisation telle que nous l’avons connue ces trente dernières années ». Entre autres conséquences, il pointe un retour à une inflation plus forte que celle connue durant les trois décennies écoulées et qu’il attribue à la réorganisation à grande échelle des chaînes d’approvisionnement.

Le second débat a pour objet la pérennité du modèle économique ultralibéral et du primat des marchés qui a porté l’économie américaine depuis les années 1980. Ce modèle est-il caduc ? La discussion avait déjà été ouverte lors de la crise financière de 2008-2009. Une fois celle-ci surmontée, elle s’était vite refermée. Elle reprend aujourd’hui. Pour l’économiste Jeff Madrick, ex-conseiller du sénateur Ted Kennedy et directeur du magazine économique Challenge, la gestion de l’inflation actuelle aux États-Unis soulève nécessairement deux enjeux, qui n’en font qu’un : se confronter, d’une part, aux « énormes profits des grands oligopoles qui augmentent inutilement les prix » et, d’autre part, surmonter « la faiblesse persistante des pouvoirs publics » à imposer une « réglementation antitrust » efficace à ces sociétés ultradominantes dans leur secteur d’activité. La hausse de l’inflation a débuté en octobre 2021 aux États-Unis. Jamais Amazon, Google and Co n’ont cumulé des bénéfices aussi gigantesques que depuis cette date. 

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