Nous devons apprendre à vivre avec des hausses de prix, et redécouvrir tristement les cinquante nuances d’inflation. Or l’inflation elle-même est un concept faussement simple. Elle est synonyme de hausse des prix dans le débat public. Cependant, tous les prix n’augmentent pas de la même manière, et il y a donc différentes mesures de l’inflation, suivant le prix que l’on considère.

L’inflation des prix de l’énergie et des biens alimentaires conduit tout d’abord à une réduction directe du pouvoir d’achat de tous les acteurs en France, ménages comme entreprises. Mais si l’inflation atteint 5 % au premier trimestre 2022, l’inflation sous-jacente, c’est-à-dire corrigée des prix de l’énergie et de l’alimentation, n’est qu’à 1,8 %. Pour faire face à la crise, les acteurs, entreprises comme États, s’endettent. En France, l’accroissement de l’endettement pourra se mesurer par le coût des mesures transitoires pour le pouvoir d’achat. Une fois la crise passée, l’effet sur l’endettement de la « vraie » inflation, c’est-à-dire d’une hausse généralisée et continue des prix, est une tout autre histoire.

illustration Yann Colcanopa

En réalité, l’inflation est plutôt une bonne nouvelle pour l’État. Pour le comprendre, il faut distinguer trois effets. D’abord, l’inflation fait croître les recettes fiscales : la valeur totale des biens et services échangés, et donc des bases fiscales de l’impôt, augmente.

Par le second canal, elle augmente aussi les dépenses de l’État, car le coût de la vie de la population s’accroît – la revalorisation prévue des minima sociaux ou des retraites en est un exemple.

Le troisième canal concerne l’évolution des taux d’intérêt et le coût de la dette publique : les taux d’intérêt nominaux vont augmenter du fait, entre autres, de l’action des banques centrales pour limiter la hausse de l’inflation, et des demandes des prêteurs pour conserver leur pouvoir d’achat, c’est-à-dire le taux d’intérêt corrigé de l’inflation.

La question cruciale est celle de l’évolution des taux d’intérêt

Quel est l’effet net de ces trois canaux pour l’État ? Si les taux d’intérêt nominaux sur la dette publique augmentent moins que l’inflation du produit intérieur brut, l’effet net est positif sur la dette rapportée au PIB. C’est le scénario le plus probable en France, d’après les premières estimations de l’OFCE, et d’après les discours de la Banque centrale européenne.

Qu’en est-il pour les entreprises, qui sont très endettées en France ? Les trois effets sont exactement les mêmes, en considérant les bons prix ! Premièrement, l’inflation augmente les prix de vente et donc les chiffres d’affaires ; elle augmente ensuite les dépenses, mesurées par l’inflation salariale et les prix des intrants ; et elle accroît enfin les charges financières, car les taux d’intérêt nominaux augmentent. Comme pour l’État, si l’inflation salariale et des facteurs de production suivent l’inflation des prix de vente et si les taux d’intérêt augmentent moins que l’inflation, l’effet net est une décroissance relative des charges financières sur le chiffre d’affaires.

L’inflation, en elle-même, ne crée pas de valeur réelle, elle modifie les prix relatifs

La question cruciale est donc celle de l’évolution des taux d’intérêt, et ce n’est pas seulement une question technique. Si les taux d’intérêt augmentent moins que l’inflation, cela signifie que les épargnants vont perdre du pouvoir d’achat, au profit des acteurs endettés comme l’État ou les entreprises. De même, si l’inflation salariale augmente moins que l’inflation des prix domestiques, la part des salaires va décroître dans la richesse nationale. L’inflation, en elle-même, ne crée pas de valeur réelle, elle modifie les prix relatifs. En ce sens, elle est légitimement un enjeu fort d’économie politique. 

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