Bien qu’en Turquie l’inflation atteigne un taux à deux chiffres dès 2017, elle n’était jamais montée à un tel niveau qu’aujourd’hui depuis l’arrivée au poste de Premier ministre de Recep Tayyip Erdoğan, l’actuel président de la République, en 2003. Selon les études fournies par l’Institut de la statistique de Turquie (Tüik), elle avoisinait en avril les 70 %. Chiffre officiel que les économistes turcs indépendants du Groupe de recherche sur l’inflation (ENAG) contestent, avançant plutôt un montant de 142,6 %.

Cette donnée interroge la déclaration faite, le 5 janvier, par Nureddin Nebati, le ministre du Trésor et des Finances, devant un aréopage d’industriels et d’hommes d’affaires turcs, affirmant selon l’agence de presse gouvernementale Anadolu : « 2022 sera l’année où nous battrons des records et appliquerons le nouveau modèle économique. Nous menons désormais une politique économique “hétérodoxe” sans faire de concession à la discipline budgétaire, en prenant toutes les précautions et en menant des politiques adéquates aux dynamiques de notre pays et au contexte international. »

Cette vision idyllique d’une économie sous contrôle se heurte aux réalités que constate chaque jour la population. Les prix ne cessent d’augmenter, atteignant des niveaux insupportables : en un an, d’après les sources officielles, plus 260 % pour la viande, 99 % pour les transports, 97 % pour les factures d’électricité, 60 % pour celles de gaz, ou encore 69 % pour les loyers et pour les biens d’équipement.

Un « tout à l’exportation » calqué sur la Chine

Inquiet devant un phénomène dont les conséquences peuvent entraîner sa défaite à l’élection présidentielle de juin 2023 et celle de son parti, l’AKP, aux législatives, le président Erdoğan a pris des mesures destinées à en atténuer les effets. Il a encadré les tarifs de l’électricité, baissé la TVA sur certains produits alimentaires de base de 8 % à 1 %, relevé les salaires de 30 % à 50 % début janvier, sans pour autant que ces décisions atténuent significativement les abyssales et galopantes pertes de pouvoir d’achat des consommateurs.

De l’avis de nombreux économistes, l’inflation trouve sa source dans la politique économique de la Turquie délibérément tournée vers le « tout à l’exportation », imitant le modèle chinois. Dès lors, l’hétérodoxie à laquelle le ministre des Finances fait allusion s’exprime par le refus du président de relever les taux d’intérêt, ce qui a facilité les exportations – le président Erdoğan s’est félicité qu’elles aient augmenté de près de 33 % en 2021 –, mais a provoqué une dévaluation de la livre turque, qui a perdu plus de 44 % de sa valeur face au dollar, renchérissant les importations dont la Turquie est très dépendante et suscitant un début de récession. Enfin, la guerre en Ukraine est venue pénaliser plus encore le pays pour ce qui est du blé (dont les cours mondiaux ont été multipliés par quatre) comme du gaz. La hausse des prix de l’énergie a conduit au doublement du déficit de son commerce extérieur que l’on constate aujourd’hui. 

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