Paroles de décrocheurs
Temps de lecture : 19 minutes
Cédric
À l’école de son village, on l’appelait « Moisi ». Ses camarades aimaient rire du fait qu’il transpirait des mains. « Toute occasion était bonne pour se moquer de moi », raconte timidement Cédric*, d’habitude très bavard. Quinze ans se sont écoulés, mais les souvenirs sont précis. De sa scolarité, le jeune homme se rappelle la peine ressentie le jour où, dans la cour du collège, on l’a obligé à s’asseoir en tailleur autour d’un poteau de telle sorte qu’il ne puisse plus se relever. Il n’a pas oublié non plus les trajets en bus scolaire. Chaque après-midi, à la descente du véhicule, plusieurs élèves le bousculaient et le faisaient rouler dans les champs de blé. « Au printemps, ça me déclenchait des crises d’allergie. Pourtant, ils n’ont jamais voulu arrêter. » Le garçon a vite compris qu’il était inutile d’en parler aux adultes : tous faisaient la sourde oreille. Le jour où des élèves sont venus le « mitrailler au paintball » sur le perron de la maison familiale, c’est son grand frère qui est venu le défendre. « Mes parents ont minimisé le problème, c’était normal pour eux. » Quant aux professeurs et aux CPE, les larmes n’avaient aucun effet sur eux. « Ce n’est pas le moment », lui répondait-on, l’encourageant à se taire. Ce qu’il a fini par faire. C’est pourtant bien un problème de harcèlement qui a poussé Cédric à renoncer dans un premier temps à un parcours scolaire classique, puis à l’école tout court. Ses notes, toujours excellentes en début d’année, baissaient progressivement mais ne passaient jamais sous la barre du dix sur vingt. En troisième, conscient de son potentiel, il décide malgré tout de se lancer dans un brevet d’études professionnelles (BEP) pour apprendre le métier de cuisinier. Un moyen pour lui d’échapper à un environnement qui le rend malheureux. Si les cours théoriques lui plaisent beaucoup, la pratique s’avère plus compliquée. Et socialement, il peine à se lier aux autres élèves. Les moqueries recommencent, dans une moindre mesure. « J’avais gardé mon comportement de bouc émissaire. »
Il s’accroche malgré tout, termine sa première année de bac pro et part en stage, avant de comprendre qu’il s’est mal orienté : la passion n’est pas là. « En rentrant, je me suis couché dans mon lit et j’y suis resté pendant une semaine et demie. » Déprimé, il n’a plus la force de retourner à l’école. Il décroche. Pour échapper aux cris de sa mère, il se réfugie dans les jeux vidéo et vit la nuit. Son père, qui n’a jamais eu son bac mais « qui a réussi tout ce qu’il a entrepris », reste muet face au décrochage de son fils. « Encore aujourd’hui, je ne sais pas ce qu’il pense de tout cela », regrette-t-il. L’ambiance à la maison est électrique. Quand ses parents lui confisquent son ordinateur, l’adolescent part s’installer chez un ami. Il a alors 17 ans. Son mal-être est si grand qu’il espère mourir dans un accident. « J’étais détruit, j’avais peur de tout et n’importe quoi. » Le simple fait de téléphoner lui paraissait comme une épreuve insurmontable. Les moqueries, subies dès l’âge de 10 ans, avaient fini par provoquer chez lui une phobie sociale paralysante.
Épaulé par la mère de son ami, Cédric s’inscrit au Clept, un établissement alternatif grenoblois destiné aux décrocheurs. Les cours sont adaptés et ont souvent lieu sous la forme de discussions. Les « boutiques d’écriture » aident les jeunes à se sentir de nouveau à l’aise avec l’écrit. « Le Clept m’a appris à communiquer, explique-t-il. Le soir, on allait boire des bières avec les autres élèves. J’ai appris à raconter mon histoire en toute confiance et à être fier de mon parcours. » Loin d’être idiot, le jeune homme finira même par obtenir son baccalauréat. Mais à l’
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