La scène se passe en Colombie, dans les rues de Bogota, il y a quelques mois. Directrice de l’association Educar Consumidores qui milite pour une taxe sur les sodas sucrés, le Dr Esperanza Cerón avait déjà reçu des coups de fil menaçants, subi des pressions des géants de l’industrie. Mais ce jour-là, elle est prise à partie par deux motards qui la font s’arrêter au bord de la route, avant de lui délivrer un message clair : « Si tu ne te tais pas, tu connais les conséquences… » Un genre de pratique qui, dans le pays, était jusque-là réservé aux narcotrafiquants. À moins évidemment de commencer à considérer « l’autre poudre blanche » comme une drogue à part entière.

Car le sucre n’est pas seulement cet indispensable carburant qui réveille notre corps et fait tourner nos neurones. C’est aussi une substance éminemment addictive, devenue en un siècle un poids lourd de notre alimentation. Jugez-en donc : en 1800, les Français en consommaient en moyenne un kilo par an chacun. Aujourd’hui, les ventes atteignent 30 à 35 kilos par personne, un chiffre stable depuis les années 1970, mais qui n’en reste pas moins inquiétant. Car ce niveau de consommation a des conséquences terribles en termes de santé publique, dont on mesure aujourd’hui pleinement les effets – un adulte sur deux est en surpoids et le diabète touche désormais plus de trois millions de nos concitoyens. Surtout, c’est la nature même de ce sucre qui a changé au cours des dernières années : alors que les foyers français ont réduit de moitié leur consommation directe, la quantité de sucre incorporée dans les boissons et les aliments industriels a explosé, bien souvent à notre insu. 

Il y a là un cruel paradoxe : le consommateur français est aujourd’hui mieux alerté que jamais sur les dangers d’une surconsommation de sucre ; il l’est beaucoup moins sur la qualité des produits qu’il glisse dans son caddie, où les sucres ajoutés jouent souvent à cache-cache derrière des appellations exotiques (maltose, dextrose, fructose, etc.). Quant à l’engouement pour les « produits light », gavés d’édulcorants artificiels, il n’a, hélas, rien d’une solution miracle : loin de couper l’envie de sucré, ces aliments soi-disant allégés doivent encore prouver leur efficacité en termes de santé. Plus largement, c’est toute l’information sur notre alimentation qui doit être améliorée, contre les résistances de l’industrie – Coca-Cola, PepsiCo et Nestlé en tête, qui tentent de saboter les nouvelles formes d’étiquetage nutritionnel. L’heure n’est plus aux années 1960 et aux gaies ritournelles d’une Mary Poppins, cette gouvernante imaginée par Disney pour qui un morceau de sucre aidait « la médecine à couler » et « rendait la vie plus belle ». Le remède d’hier est aujourd’hui devenu poison. Sauf, bien sûr, à le consommer avec modération. 

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