Les substituts au sucre ne datent pas d’hier. Avant que canne à sucre et betterave ne participent à la diffusion à bas prix du sucre de table, ce sont le miel, les fruits secs ou confits (dattes, abricots, pruneaux…) et les jus de groseille ou de raisin qu’on utilisait dans les cuisines anciennes. Mais comme le miel était cher, la recherche d’autres édulcorants (du latin edulcolare, « adoucir un remède » en médecine) restait de mise : « dans la Rome impériale, on fabriquait le sapa, sorte de sirop intensément sucré, obtenu à partir de jus de raisin, de la lie de vin ou du vinaigre qu’on faisait bouillir dans des casseroles de plomb », explique le géographe Vincent Moriniaux. Au Moyen Âge, on utilise beaucoup le raisiné, associé alors à des mélasses de fruits (pommes, poires…). Mais ce mode de production ne permet pas de produire en quantité : il est peu à peu abandonné au profit de la saccharine, développée par des chercheurs allemands en 1880. Avec un pouvoir sucrant 300 à 400 fois plus élevé que le sucre, elle ouvre le bal des édulcorants artificiels.

Et pour cause : il existe pas moins de 96 édulcorants pour l’alimentation humaine. Certains sucrent moins ou guère plus que le sucre (tels le polyol, l’isomalt et le sucralose, des édulcorants « de charge » au pouvoir sucrant de 0,5 à 1,4 – le pouvoir sucrant du sucre étant de 1), d’autres bien davantage (les « édulcorant intenses »). Certains n’apportent pas de calories, ou moins que le sucre. Certains, encore, suppriment les risques de caries. Depuis les années 2000, les édulcorants « naturels » ont le vent en poupe. C’est le cas de la stevia, dont le pouvoir sucrant est plus élevé que celui du sirop d’érable, du sirop d’agave ou du sucre de palme. Et si le xylitol (polyol extrait de l’écorce de bouleau), découvert à la fin du xixe siècle, fut le premier édulcorant naturel à être utilisé pour son pouvoir sucrant équivalent au saccharose et son effet rafraîchissant utile pour les confiseries, la stevia occupe aujourd’hui 14 % du marché global des édulcorants intenses, derrière l’aspartame (44 %) et le sucralose (17 %), mais devant l’acésulfame-K (10 %) et le cyclamate (9 %). Mais il est difficile d’obtenir des chiffres détaillés sur le secteur : les dénominations sont multiples pour une même molécule, les mélanges très nombreux, et les risques de double calcul réels. Les marchés diffèrent aussi selon les autorisations de commercialisation, avec des études contradictoires en matière d’effets sur la santé.

Concernant ces derniers, on ne peut formuler à ce stade que des hypothèses. « Aucun mécanisme sûr et vérifié n’a été identifié. La consommation régulière d’édulcorants – et notamment de sucrettes ou de boissons light – peut modifier le microbiote intestinal et provoquer des diabètes de type 2 », explique Guy Fagherazzi, chercheur en épidémiologie à l’Inserm ayant participé à l’une des plus grosses études sur la question (100 000 femmes suivies depuis vingt-sept ans). Ses travaux montrent ainsi qu’à consommation égale, les risques de diabète sont 60 % plus élevés avec les boissons light qu’avec les boissons sucrées classiques, et 83 % plus élevés quand on consomme régulièrement des sucrettes. Des résultats inquiétants qui peuvent s’expliquer, entre autres, par une appétence au sucre et une sensation de faim accrues, allant à l’encontre de l’effet recherché. « Il demeure que les recherches épidémiologiques menées en la matière doivent être appuyées par des études biologiques », relativise le chercheur. « Chez certains sujets, les édulcorants provoquent des pics d’insuline ; l’organisme s’attend à un apport calorique qui finalement reste nul. Cela peut entraîner une surconsommation d’aliments, des hypoglycémies, ou une habituation qui enraye par la suite les mécanismes naturels et génère, à terme, du diabète. » La prudence est donc de mise : « Pour la stevia comme pour d’autres édulcorants, il nous reste à prouver qu’il n’y a pas d’effet. » 

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