Nous L’avons tous éprouvée. La liberté jouissive du consommateur. Choisir son supermarché, choisir son produit, choisir sa marque. Goût fraise ou chocolat ? Version classique ou allégée ? Mettre un euro de plus pour la version de Noël avec les étoiles sur le packaging, ou ça suffit comme ça ?

L’industrie agroalimentaire nous donne le choix. Du moins, c’est ce qu’elle veut nous faire croire. Car depuis cinquante ans, une substance enchanteresse s’est introduite dans la plupart des produits industriels que nous consommons. Elle est douce, réconfortante, addictive mais légale. Cette substance, c’est le sucre. 

Comprendre comment l’industrie a, pendant des décennies, influencé nos régimes alimentaires nécessite un voyage dans le temps et dans l’espace. Nous sommes en Amérique, au début des années 1960. Le monde de la nutrition est alors en guerre. Constatant une augmentation massive des maladies cardiaques, les scientifiques cherchent à en déterminer les causes. Deux camps s’opposent : le premier, mené par l’épidémiologiste américain Ancel Keys, pointe du doigt les acides gras saturés et le cholestérol ; le second, représenté par le nutritionniste britannique John Yudkin, affirme que le sucre est directement responsable des cardiopathies. Le débat est houleux et les deux experts, inflexibles, s’accrochent à leurs théories respectives. 

Malgré ses nombreuses publications, dont le livre Pure, White and Deadly en 1972, John Yudkin peine à convaincre l’opinion publique. Fondateur du département de nutrition au Queen Elizabeth College de l’université de Londres, ce professeur détesté de Keys est le premier à avoir formulé l’hypothèse que le sucrose (ou saccharose) provoque non seulement des caries, mais aussi du diabète, des maladies cardiaques et de l’obésité. De son côté, le scientifique américain peut compter sur le soutien de nombreux chercheurs. Ancel Keys a l’avantage de bénéficier d’une certaine notoriété pour avoir inventé, pendant la Seconde Guerre mondiale, la « ration K » – une ration alimentaire pour les troupes américaines. Le gouvernement des États-Unis tranche en sa faveur et décide de lui accorder sa confiance. En 1977, le premier guide de recommandations diététiques, The Dietary Goals for the United States, conseille aux citoyens de privilégier la consommation de produits alimentaires pauvres en matières grasses. L’influence des théories de Keys ne tarde pas à s’étendre au-delà des frontières américaines, jusque sur les terres de son rival. À peine six ans plus tard, le Royaume-Uni publie à son tour des recommandations similaires. La guerre mondiale aux graisses saturées est déclarée, et l’industrie agroalimentaire crée pour chacun des produits existant déjà sur le marché un équivalent pauvre en matières grasses. Fin de l’histoire, ou presque. 

un demi-siècle de mensonges

En 2016, la découverte de documents confidentiels par un chercheur de l’université de Californie vient entacher le récit. Ils mettent au jour une affaire de corruption qui aurait permis d’asseoir l’influence d’Ancel Keys. Ces papiers datés des années 1960 révèlent que l’industrie sucrière, à travers son organisation syndicale, la Sugar Association, a versé à trois scientifiques de l’université Harvard l’équivalent de 50 000 dollars pour produire une fausse étude appuyant la théorie du « light ». Ôter les acides gras saturés des produits permettait, en fait, de réaliser des économies considérables. Publiée en 1967 dans le prestigieux et influent New England M

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