Qu’appelle-t-on le sucre ? 

Lorsque l’on parle de sucre, on fait généralement référence au saccharose, le sucre de table. C’est un disaccharide : il est composé de deux monosaccharides, le glucose et le fructose. Ce saccharose est extrait de la betterave sucrière ou de la canne à sucre. On peut également faire référence directement à ces deux monosaccharides (glucose et fructose). Le premier agit sur l’ensemble de l’organisme, nourrissant énergétiquement les différentes cellules du corps, jusqu’aux neurones du cerveau. Le fructose, lui, est assimilé plus lentement et est principalement métabolisé par le foie. 

Pourquoi notre corps a-t-il besoin de sucre ? 

Le sucre est un carburant pour le corps. Nos cellules ont besoin de glucose pour former des molécules d’adénosine triphosphate (ATP). Ces dernières stockent de l’énergie chimique qui va ensuite être utilisée pour actionner les protéines. C’est la même chose pour le cerveau, à un détail près : les cellules du cerveau consomment énormément d’énergie. Un cerveau humain, qui représente environ 2 % du poids total du corps, absorbe entre 20 et 25 % de l’énergie globale, ce qui nécessite environ 100 à 120 grammes de glucose par jour. Le cerveau est fortement dépendant du glucose. S’il en est privé pendant plusieurs minutes, les dommages peuvent être irréversibles. Les réserves énergétiques dans le cerveau sont très limitées, c’est pourquoi on a besoin d’un apport quasi continuel, un peu comme l’oxygène. 

Quel est le bon dosage quotidien de sucre ? 

C’est celui qui est préconisé par l’OMS (Organisation mondiale de la santé). En 2003, elle recommandait un apport en sucres libres quotidien inférieur à 12 cuillères à café (200 calories). Elle a récemment recommandé d’abaisser cet apport à 6 cuillères. En France, aujourd’hui, on peut rapidement dépasser ce seuil puisque si on mange un plat préparé et un yaourt sucré, on est déjà dans le rouge. Il est très difficile, dans nos sociétés, d’avoir une diète qui suit ces recommandations. Il faudrait boire de l’eau à la place des sodas et ne pas manger de produits fabriqués industriellement.

Quelle est notre principale source de sucre ajouté ?

On le trouve principalement dans les sodas, les jus de fruits, les yaourts sucrés, les céréales du petit-déjeuner, et bien sûr dans les confiseries, les biscuits et les chocolats. Il se cache aussi dans les plats préparés, les sauces et les soupes, pleins de sucres ajoutés. L’épidémiologiste américain Barry Popkin parle d’« édulcoration du monde » : on a tout sucré ! Pourtant, le sucre ajouté n’est pas essentiel à notre santé ni à notre survie. On peut trouver du sucre non ajouté et en concentration « naturelle » dans les fruits, certains légumes et les féculents, par exemple.

Pourquoi aimons-nous tant le sucre, surtout quand ça va mal ? 

Le sucre active le circuit de la récompense, à deux reprises. Prenons l’exemple d’une cannette de soda classique contenant 10 % de saccharose, soit environ 7 carrés de sucre. Dans un premier temps, le goût sucré déclenche, en une fraction de seconde, le circuit de la récompense au niveau du cerveau. Cette activation est encore plus forte si vous mangez un aliment sucré et gras. Une fois le produit consommé, ce circuit est activé une seconde fois, 10 à 15 minutes après l’ingestion de l’aliment. Le glucose est résorbé dans le sang et passe dans le cerveau où il agit comme un agent pharmacologique pour aller stimuler l’activité de certains neurones. Cette seconde activation sert de conditionnement à la première et entretient l’appétence pour le goût sucré. 

Qu’est-ce que le système de récompense ?

Il faut se représenter le cerveau à l’intérieur de la boîte crânienne. À la base du cerveau, au-dessus de la moelle épinière, se situe le tronc cérébral, et au-dessus, juste à côté de l’hypothalamus, on trouve le mésencéphale ventral. Dans cette région, les neurones utilisent la dopamine comme neurotransmetteur. Une fois libérée, la dopamine participe à la création de mémoires qui font en sorte que tous les stimuli ou comportements qui ont précédé l’activation des neurones dopaminergiques acquièrent une valeur pour l’individu et lui donne envie de les répéter. La dopamine est libérée chaque fois que vous ressentez quelque chose d’agréable que vous n’aviez pas forcément anticipé. Comme quand vous écoutez un morceau de musique qui vous plaît, par exemple. Plus vous l’écoutez, plus la dose dopaminergique diminue. Les neurones dopaminergiques sont la cible de toutes les drogues d’abus. La cocaïne, la nicotine, l’héroïne et le cannabis produisent ces effets.

Quid des produits light ?

Avec les produits light, la seconde activation n’a pas lieu, du fait qu’ils sont dépourvus de glucose. On pourrait croire que ça devrait diminuer l’appétence pour ces produits et leur goût sucré. En théorie, oui. C’est d’ailleurs ce que nous avons observé, grâce à des tests sur des rats ayant accès à une boisson seule contenant un édulcorant artificiel, comme la saccharine. Lorsque l’on répétait l’expérience, l’animal se désintéressait progressivement du goût sucré de la boisson. On peut donc éteindre l’appétence du goût sucré. Mais les habitudes des consommateurs humains changent la donne. Les sodas édulcorés, qui contiennent une combinaison de saccharine, de sucralose et d’aspartame, sont généralement consommés en mangeant ou juste avant. La sensation sucrée va donc avoir lieu en même temps que la glycémie, qui va déclencher le circuit de la récompense. Or le cerveau ne peut pas savoir que le glucose post-ingestionnel est lié au plat ou à la boisson. En buvant un soda édulcoré, on ingère donc une substance qui n’apporte aucun bénéfice d’un point de vue nutritionnel et n’enlève pas l’envie de consommer du sucre. 

Vous étudiez les effets du sucre depuis dix ans. Pouvez-vous, à ce stade, affirmer que l’addiction au sucre est réelle ?

Ce que je peux affirmer, c’est que les addictions alimentaires existent. Un certain nombre d’individus présentent, vis-à-vis de la nourriture, tous les symptômes comportementaux qu’il est possible d’avoir vis-à-vis d’une drogue. Chez certains, cette addiction est associée à une souffrance liée au fait qu’ils voudraient contrôler leurs comportements mais qu’ils n’y parviennent pas. Or tous les produits faisant l’objet de ce comportement addictif sont des produits contenant du sucre ajouté. Comment vérifier que le sucre est le seul coupable ? C’est difficile à établir, surtout d’un point de vue éthique. Il faudrait, au cours d’une longue expérience, donner à des cobayes humains une boisson contenant du saccharose tous les jours pendant plusieurs mois et observer l’apparition d’un comportement addictif. Mais de plus en plus de travaux, fruits d’expériences réalisées sur les animaux, confirment qu’une consommation chronique de sucre entraîne des modifications neuronales durables qui ressemblent à celles induites par les drogues. 

Quelles sont les conséquences d’une surconsommation de sucre ?

Elle est un facteur déterminant dans le gain de poids, le surpoids et l’obésité. Or ces derniers augmentent considérablement, par des mécanismes encore flous, le risque de développer un diabète de type 2. On commence aussi à s’intéresser aux relations entre diabète et maladies neurodégénératives comme la maladie d’Alzheimer. Il est néanmoins encore trop tôt pour se prononcer sur la question. 

Pourquoi vous êtes-vous intéressé au sucre ?

Au départ, nous étudiions les effets des drogues fortement addictives, comme la cocaïne ou l’héroïne, sur les rats. Au cours d’une expérience, nous avions décidé d’utiliser le sucre comme une récompense alternative pour déterminer si, après l’escalade de la consommation d’une drogue, les animaux étaient réellement devenus « addicts ». On imaginait que si c’était le cas, lorsqu’on leur proposerait de la cocaïne et du sucre, ils choisiraient la drogue. Or on a observé exactement le contraire : les rats choisissaient l’eau sucrée. De plus en plus de travaux s’intéressent au potentiel addictif du sucre, notamment aux États-Unis, où le taux d’obésité de la population a atteint 39 % cette année. La France est passée de 7 % à la fin des années 1990 à 16 % aujourd’hui. Notre rapport très particulier et diversifié à la nourriture nous a longtemps protégés de l’américanisation de l’alimentation, mais notre petit village gaulois est peu à peu en train de céder. 

Est-il aujourd’hui possible d’échapper à la surconsommation de sucre ? 

L’industrie agroalimentaire insiste beaucoup sur la liberté individuelle du consommateur. Cette liberté est factice. Leurs produits, qui semblent divers et variés, contiennent en réalité presque tous le même ingrédient, le sucre ajouté. Nous faisons face à un paradoxe extraordinaire. À l’époque où nous étions des chasseurs-cueilleurs, il fallait faire attention à ce que l’on cueillait. Une plante non comestible pouvait nous empoisonner, voire nous tuer. Aujourd’hui, les supermarchés ont remplacé les forêts ancestrales, mais il faut toujours faire attention à ce que l’on « cueille » pour rester en bonne santé. C’est paradoxal car ce nouvel environnement, c’est nous qui l’avons créé et nous devrions avoir le pouvoir de le changer. 

Propos recueillis par MANON PAULIC

 

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