Il ne semble plus être question – pour un temps du moins – de prendre prétexte d’une dette publique jugée excessive pour justifier des plans d’austérité drastiques. Et les conséquences économiques, sociales et politiques du nouvel endettement massif des pays de l’Union européenne ne semblent pas être envisagées ; il s’agit avant tout de trouver de l’argent rapidement. C’est donc l’endettement à tout prix qui a été choisi, malgré les conséquences prévisibles sur les populations, car aucune leçon ne semble avoir été tirée de l’histoire récente de la crise de 2008.

Il ne faudrait pourtant pas oublier les coupes budgétaires, les plans d’austérité, ou encore les prétendus efforts collectifs nécessaires dans les secteurs encore partiellement publics qui ont marqué la dernière décennie et qui ont été mis en œuvre dans le but de rembourser des dettes souveraines insoutenables. Malgré le besoin criant de moyens et les promesses de soutien, le secteur de la santé reste à ce jour largement sous-financé à cause d’années de pratiques austéritaires.

à la difficulté d’honorer une promesse de remboursement s’ajoute l’impossibilité de prévoir les effets de la crise sur les économies, et donc la capacité de remboursement des pays débiteurs. Cela veut dire trois choses : les gouvernements des pays débiteurs seront soumis aux exigences de leurs créanciers pendant de longues années, incapables de répondre directement aux peuples qui les auront élus ; les budgets publics vont diminuer alors que les privatisations de biens et de services publics augmenteront ; les droits fondamentaux des habitants ne seront pas garantis par les pouvoirs publics sous prétexte d’un « effort commun nécessaire ».

Jamais dans l’histoire du capitalisme l’augmentation des dettes souveraines n’a été bénéfique aux populations. L’augmentation des créances liées à cette nouvelle crise sanitaire et économique ne devrait pas échapper à la règle. Preuve en est l’euphorie sur les marchés obligataires et les taux d’intérêt historiquement bas. La dette est avant tout un outil de transfert de richesses des pauvres vers les riches, des contribuables vers « les propriétaires des titres de capital », comme l’écrivait le sociologue et philosophe italien Maurizio Lazzarato dans les colonnes du Monde diplomatique en février 2013.

Les conséquences des choix adoptés face à la crise économique en cours sont donc pour le moins inquiétantes. Après 2008, les États se sont endettés pour sauver un système bancaire au bord de la faillite. La Banque centrale européenne (BCE) et la Commission ont joué un rôle crucial dans l’imposition de politiques d’austérité, faisant perdre tout espoir de souveraineté populaire et délégitimant tout gouvernement qui s’y opposerait – phénomène qui a contribué à nourrir l’exaspération politique sur laquelle se construit la propagande des partis autoritaires, à l’instar d’Aube dorée, formation d’extrême droite entrée pour la première fois au parlement grec à la suite des législatives de 2012. Les négociations n’étaient envisageables qu’à partir du moment où les accords étaient tenus, c’est-à-dire qu’elles ne l’étaient pas. Le cas de la crise de la dette grecque est le plus parlant, mais il n’est pas le seul. La démocratie a été sacrifiée au nom du remboursement des dettes publiques.

Dans le combat inégal entre créanciers et débiteurs, les perdants sont toujours ceux qui remboursent. Entre 2010 et 2020, dans plusieurs pays européens – la Grèce, Chypre, l’Espagne, le Portugal et l’Irlande ont été particulièrement touchés par l’austérité, mais presque tous les États membres de l’UE ont appliqué des mesures d’austérité –, les revenus ont chuté et les retraites ont diminué. Les financements pour la santé et l’éducation ont également connu une forte baisse. De plus, une part conséquente du parc de logements a été vendue à des fonds d’investissement, faisant ainsi augmenter les prix et aggravant la crise du logement. Les privatisations de biens et de services publics ont généré des hausses de prix bien plus rapides que la hausse moyenne des revenus. Enfin, la protection de l’environnement a été bradée au nom de la « relance » économique.

Pas plus que ceux d’hier, les créanciers d’aujourd’hui n’ont à s’inquiéter. La crise bancaire précédente et ce qui en a découlé ont montré aux spéculateurs qu’ils bénéficiaient du soutien des États, volontaire ou non : si l’un d’entre eux tentait de renégocier, les créanciers bilatéraux et multilatéraux feraient bloc pour le contraindre à rembourser assurant ainsi la sauvegarde des intérêts des capitaux financiers, aux dépens de ceux des populations. Il est dès lors légitime de se demander quelle sera l’austérité imposée suite à l’endettement colossal lié à la crise du coronavirus ou encore quels biens publics devront être vendus. 

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