Tout comme il faut un militaire pour faire la paix, il a fallu un libéral pour porter la dépense publique et le déficit à un niveau jamais atteint. Singulier tête-à-queue idéologique que celui d’Emmanuel Macron, conquérant le pouvoir en exaltant l’émancipation individuelle et l’orthodoxie budgétaire, et l’exerçant en dépensant des tombereaux d’argent pour accroître le champ de l’État. 

Tout cela à cause du virus. Un virus qui a inversé les polarités de l’économie : ce qui était mauvais est désormais bon, et ce qui était bon est désormais infâme. Au point que nous sommes, Français et bien d’autres dans le monde, engagés dans une extraordinaire course à la dette dont on ne voit pas la fin. Ou plutôt – si l’on s’en tient à l’histoire, qui n’est pas avare de leçons en matière de catastrophes financières provoquées par l’excès de dette – dont on peut redouter la fin. 

Souvenez-vous. C’était il y a deux ans et demi, c’est-à-dire un siècle. Au centre hospitalo-universitaire de Rouen. Notre jeune président, toujours prêt à ferrailler avec ses contradicteurs dans des discussions impromptues, s’empaillait avec une soignante qui lui reprochait le manque de moyens et de lits. Comme à l’habitude, Emmanuel Macron ne céda pas un pouce de terrain : « À la fin, les moyens, c’est vous qui les payez aussi, répondait-il aux blouses blanches. Il n’y a pas d’argent magique. »

C’était en effet l’opinion d’une bonne partie des économistes et de la quasi-totalité des milieux d’affaires : il n’y a pas d’argent magique. Autrement dit, on ne peut dépenser plus que ce que l’on gagne, sauf à s’endetter. Un État avait bien sûr la liberté de le faire, mais au prix, s’il dépassait la mesure acceptable, de vivre sous le joug de ses créanciers. Pour obtenir des crédits, il fallait en effet solliciter les prêteurs, ceux qu’on appelle les investisseurs. Grandes banques internationales et petits épargnants – via des fonds collectifs –, ils se retrouvaient tous sur le marché de l’argent, et distribuaient leur capital contre promesse, non seulement de remboursement à terme, mais aussi de rémunération annuelle – le taux d’intérêt. Ce taux était fluctuant. Les États solides – l’Allemagne ou la Suisse – étaient gratifiés d’un taux faible, car les investisseurs étaient à peu près certains d’être remboursés. À l’inverse, les États dispendieux ou de mauvaise réputation – l’Italie ou pire, la Grèce – étaient taxés d’un taux élevé, pour rémunérer le risque que prenait le prêteur à engager son capital.

Le taux d’intérêt était donc une sorte de note, décernée par les détenteurs de capital à ceux qui manquaient de capital. Dit autrement, il était la mesure du rapport de force entre les deux parties. Un système parfaitement justifié vu de la fenêtre du prêteur, mais absurde aux yeux de l’emprunteur, parce qu’il aggravait mécaniquement ses difficultés financières, avec la charge de la dette, c’est-à-dire le loyer de l’argent. Le budget de la France réglait ainsi plusieurs dizaines de milliards d’euros chaque année en intérêts. Soit autant que le budget de l’Éducation nationale. 

Comme ce taux d’intérêt était fluctuant, nous restions à la merci d’une crise de confiance, qui l’aurait fait monter brutalement et nous aurait étranglés financièrement, en alourdissant la charge de la dette. Le risque était alors celui de la boule de neige qui grossit en dévalant la pente : s’endetter de plus en plus pour payer et les intérêts et la dette. Les investisseurs sont en effet des âmes sensibles, et de surcroît moutonniers comme les quadrupèdes bêlants de Panurge. Quand ils ont peur, ils s’enfuient tous en même temps. Ce qui fait mécaniquement monter le prix de leurs services.

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