Il ne doit y avoir aucun doute sur la politique à suivre : tout doit être fait pour protéger les Français du contrecoup économique de la pandémie et éviter un affaissement de notre système productif. Il faudra donc maintenir, sous des formes adaptées, un soutien budgétaire massif, aussi longtemps que la contagion menacera et même au-delà, parce que la crise sanitaire laissera les ménages apeurés et les entreprises affaiblies. Cela va coûter très cher : au moins 500 milliards. Mais viser trop court ou s’arrêter trop tôt coûterait encore plus cher.

Nous pouvons nous le permettre, parce que l’État emprunte à des taux négatifs. L’investisseur qui lui a prêté 1 000 euros à dix ans début novembre devra lui payer chaque année 3,5 euros pour ne récupérer en 2030 que sa mise initiale. La dette est donc aujourd’hui plus qu’indolore. Cette situation exceptionnelle ne tient pas seulement à l’action de la Banque centrale européenne. Elle résulte aussi de l’abondance de l’épargne mondiale, du manque de projets d’investissement prometteurs et de la pénurie d’emprunteurs attractifs. C’est, dans notre malheur, une chance énorme. Dans les conditions financières d’il y a vingt ans, nous n’aurions pas pu répondre à la crise avec la même vigueur.

Dans dix ans en revanche, personne ne sait si les taux d’intérêt seront au même niveau. Il faut espérer que l’inflation avoisinera de nouveau les 2 %, que les inégalités auront diminué et avec elles le niveau de l’épargne globale, que l’investissement aura redémarré (la décarbonation accélérée de nos économies va d’ailleurs y contribuer). Si tel est le cas, la facture de la crise se traduira par des charges d’intérêt accrues et potentiellement lourdes lorsque les emprunts contractés en 2020 devront être renouvelés.

Outre-Rhin, on s’y prépare déjà (et même un peu trop vite), au gré d’une logique simple : plus l’État s’engage dans des opérations de sauvetage dans les crises, plus grande doit être son ascèse entre les crises. Puisqu’il doit périodiquement s’endetter (hier, pour financer l’unification allemande ou surmonter la crise financière ; aujourd’hui, pour faire face au choc sanitaire ; demain, peut-être pour répondre à une urgence écologique), il faut ensuite le désendetter.

En France, nous sommes enclins à une autre lecture : si l’on a su trouver des ressources pour faire face à la crise, entend-on, on en trouvera bien demain pour financer les besoins insatisfaits. Il suffira, dit-on, que la BCE annule d’un trait de plume les créances qu’elle a accumulées sur les États en achetant des obligations publiques. Et le tour sera joué : l’État se sera allégé d’une dette, sans coût pour personne.

Peut-être, si la crise dure, les États se révéleront-ils incapables d’honorer des dettes devenues insoutenables. Peut-être faudra-t-il se résoudre à faire subir une perte à leurs créanciers – c’est-à-dire, principalement, aux épargnants français ou étrangers – en restructurant des dettes, en comprimant les taux d’intérêt ou en organisant une poussée d’inflation. Il est trop tôt pour dire s’il faudra en venir à de telles extrémités. Mais propager la fiction de l’annulation sans pleurs, c’est entretenir un mythe. Quand bien même la BCE annulerait ses créances sur les États, elle n’allégerait en rien leur fardeau. Ils sont ses actionnaires ultimes, et perdraient donc à l’actif ce qu’ils gagneraient au passif.

L’erreur économique est grave. Mais le péché contre la démocratie l’est encore plus. Comme l’a fameusement dit Mendès France, gouverner c’est choisir. Faire croire qu’il n’en est rien, c’est faire le lit des démagogues. 

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