Grenoble ne manque pas d’eau. À la différence d’autres villes comme Marseille, Nice ou Perpignan, elle a la chance d’avoir, en plus d’une immense nappe phréatique qui s’étend sous la ville, trois rivières urbaines, l’Isère, le Drac et la Romanche, ainsi que des torrents issus de la fonte des glaciers des Alpes. L’eau des nappes du Drac et de la Romanche y est si pure qu’elle n’a même pas besoin d’être traitée. Et elle y est si abondante que la ville est capable de fournir le Pays voironnais voisin en cas de tension sur les ressources. Jusqu’à récemment, on ambitionnait même de construire à Grenoble des infrastructures pour alimenter en eau les villes de Lyon ou de Chambéry.

Pourtant, l’urgence n’en est pas moins réelle. Elle se situe d’abord au niveau climatique. Le réchauffement est particulièrement fort dans les Alpes : en effet, le manteau neigeux réfléchit le soleil et, à la fonte, la roche sombre absorbe les rayons et se réchauffe d’autant plus vite. À cause de ce phénomène, on observe une évaporation plus rapide des eaux de pluie, ce qui réduit la quantité d’eau disponible au sol. En conséquence, certains villages de montagne, dépendants de sources locales et de petits cours d’eau désormais taris, ont dû, ces dernières années, être temporairement approvisionnés en eau par des camions-citernes venus de la plaine. Malgré l’excédent en eau de la région grenobloise, des tensions locales commencent déjà à apparaître.

L’urgence se manifeste ensuite au niveau des usages et de la répartition des ressources en eau. Grenoble est historiquement une ville d’industrie (ganterie, hydraulique, cimenterie, chimie, etc.), et aujourd’hui, on assiste à un développement important de l’industrie microélectronique, un secteur particulièrement gourmand en eau pure. Actuellement, les usines, situées à une vingtaine de kilomètres de Grenoble, sont alimentées par le service de l’eau de la métropole. Or, cette industrie souhaite s’agrandir, si bien que sa consommation en eau pure va désormais dépasser celle des habitants de la ville. Alors que des tensions sont à prévoir à l’avenir sur la quantité d’eau disponible, l’allocation d’un tel volume à l’industrie pose question.

 

Enfin, il faut soulever la question de la qualité de l’eau. Grenoble, comme bien d’autres villes, a fait de l’eau une ressource territoriale majeure pour son développement. Si les sites de captage du Drac et de la Romanche ont été protégés pour garantir un approvisionnement en eau potable, l’Isère et la nappe phréatique située sous la ville ont été « sacrifiées » aux usages agricoles et industriels. Les Grenoblois se retrouvent ainsi ironiquement avec une grande quantité d’eau très facilement accessible, à moins de trois mètres sous leurs pieds, mais totalement inutilisable car complètement polluée. Dans le contexte actuel, la question doit être posée : peut-on se permettre de gaspiller ainsi une partie de nos ressources ?

La question est d’autant plus brûlante que la qualité de l’eau « protégée » est, elle aussi, affectée. Des études récentes ont relevé des traces de polluants chimiques comme le mercure, le toluène, les chlorates ou les perchlorates dans l’eau potable de la ville – des substances souvent liées aux usines de chlore industriel situées au sud de l’agglomération, à proximité immédiate des champs de captage qui alimentent la ville.

Aujourd’hui, l’urgence est donc à la protection et à la bonne répartition de l’eau sur le territoire, y compris dans une ville comme Grenoble où celle-ci, en apparence, ne manque pas. À cet égard, nous avons la chance en France d’avoir de nombreuses instances qui permettent d’encadrer et de réguler les usages : les agences de l’eau, à échelle régionale, qui font appliquer le principe pollueur-payeur, ou encore les commissions locales de l’eau, qui existent sur la base du volontariat et au sein desquelles les usagers industriels, agricoles et domestiques peuvent discuter. Mais ces mécanismes institutionnels sont parfois enrayés par des rapports de force déséquilibrés entre les différents groupes d’usagers.

D’où l’importance des initiatives citoyennes, comme le projet de création d’un « Parlement de l’Isère », qui vise aussi à doter la rivière d’une « personnalité juridique ». Cela permettrait à des représentants de parler au nom des milieux aquatiques, du fleuve ou du paysage, et donc de mieux en défendre les droits face aux différents usagers. Plus encore, ce serait un moyen de conférer au fleuve une forme d’agentivité, et donc de rompre avec notre vision de l’eau comme une simple ressource qu’il nous revient d’exploiter. Il y a un vrai travail d’éducation à mener pour que les riverains comprennent que la protection et le bon usage de cette ressource constituent un réel combat, un combat qu’il est urgent de gagner. 

 

Conversation avec LOU HÉLIOT

 

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