À une centaine de kilomètres au sud de Toulouse, au cœur des Pyrénées ariégeoises, se trouvent les vallées du Couserans et leurs paysages escarpés, territoire à l’histoire et à la population atypiques. En raison de leur relatif enclavement géographique et d’un imaginaire local de résistance à l’État central, le Couserans a connu depuis les années 1960 l’arrivée d’une population néorurale, cherchant parfois des modes de vie alternatifs. Au tournant du xxisiècle, la désindustrialisation s’est renforcée, générant la disparition de nombreux emplois dans les secteurs de la mine et de la papeterie qui contribuaient à la dynamique économique du territoire. Les emplois ne s’étant pas tertiarisés, le Couserans a connu une certaine précarisation de ses classes populaires et a vu son taux de chômage augmenter considérablement. En 2022, il a même atteint 13,4 % dans la petite sous-préfecture de Saint-Girons qui, avec ses 6 000 âmes, est la principale des quatre-vingt-quatorze communes de la communauté de communes de Couserans-Pyrénées, qui compte au total 30 000 habitants.

Dans un contexte de dématérialisation des démarches administratives, de nombreux guichets ont fermé en milieu rural

La combinaison de ces facteurs historiques et socio-économiques fait aujourd’hui du Couserans un territoire qui concentre une importante précarité rurale. Cette situation d’urgence sociale a notamment amené les pouvoirs publics à mettre en place un quartier prioritaire de politique de la ville (QPPV) à Saint-Girons. Alors que cette politique concerne généralement des territoires situés dans la banlieue urbaine, c’est l’important taux de pauvreté – 20 % dans la ville et 22,3 % dans la vallée, contre 14,6 % à l’échelle nationale – qui a exigé la mise en place de ce dispositif prioritaire à destination de près d’un quart des habitants. Cette précarité, couplée à l’exode rural, a par ailleurs conduit à une importante dégradation de l’habitat, que les propriétaires n’ont pas les moyens d’entretenir ou de rénover, et qu’ils ne peuvent pas louer. 9 % de logements restent ainsi vacants dans le Couserans-Pyrénées, et ce chiffre s’élève à 19 % à Saint-Girons, entraînant une importante tension sur le reste du parc immobilier et des difficultés d’accès au logement.

Les difficultés sociales rencontrées par les classes populaires rurales – particulièrement politisées pendant la mobilisation des Gilets jaunes – relèvent notamment des problématiques d’accès aux droits et aux services publics. Dans un contexte de dématérialisation des démarches administratives, de nombreux guichets ont fermé en milieu rural, comme le révèle un rapport de la Cour des comptes en 2019. Les demandes de prestations sociales, telles que le RSA ou la prime d’activité, passent désormais par des démarches en ligne. Le baromètre du numérique établi en 2022 montre que l’on retrouve principalement, parmi les 29 % de la population française qui n’a pas réalisé de démarches en ligne au cours d’une année, des personnes âgées, à bas revenus, faiblement diplômées et vivant plus fréquemment en milieu rural. Nadia Okbani, maîtresse de conférences en science politique à l’université Toulouse-Jean Jaurès et spécialiste des politiques sociales, s’intéresse à ces problématiques d’accès aux droits et de précarité en milieu rural. Pour elle, il importe de comprendre en quoi la fermeture de guichets et l’injonction à passer par des démarches en ligne – ce qui suppose des compétences administratives et numériques – peuvent constituer des obstacles à l’accès aux droits pour les classes populaires et précarisées en milieu rural. C’est ce qui l’a conduite à rejoindre le programme de recherche du Popsu pour étudier le cas de Saint-Girons et du Couserans-Pyrénées, dans le contexte actuel d’inflation, de chômage et de crise énergétique.

« La précarité n’est pas toujours une question de court terme. »

Cette recherche – dont les résultats sont attendus fin 2024 – vise, d’une part, à analyser les parcours de vie et la diversité des problèmes sociaux rencontrés par ces publics ruraux précarisés (logement, précarité alimentaire et énergétique, accès aux soins, etc.), plus ou moins visibles, notamment les difficultés d’accès aux droits sociaux qui peuvent conduire à une dégradation de leur situation (impayés de loyer, expulsion, surendettement, etc.). D’autre part, elle entend saisir comment l’action sociale locale se déploie pour répondre à la diversité des besoins et favoriser l’accès aux droits des publics, dans ce contexte de dématérialisation des services publics. La chercheuse émet l’hypothèse que « la ruralité a un impact sur l’accès aux services publics, aux droits et aux soins du fait de difficultés de mobilité, mais aussi d’une distance spatiale et sociale à la ville et aux institutions ».

La précarité n’est pas toujours une question de court terme, ajoute-t-elle. Certains « s’inscrivent durablement dans des parcours de précarisation et, pour eux, l’urgence est là depuis dix ans ». Lorsque ces situations de précarité s’installent dans le temps, les personnes voient se dégrader non seulement leur situation économique, mais aussi leurs conditions de vie et parfois leur santé mentale, « puisque les temporalités des administrations et des services sociaux ne correspondent pas à celles des urgences qui peuvent être vécues par les publics ». Concevoir la précarité par le seul prisme de l’urgence sociale et d’une temporalité courte, c’est prendre le risque de négliger un ensemble de situations de vulnérabilité dont certaines pourraient être évitées par un accès effectif aux droits sociaux et aux aides proposées par les collectivités locales.

 

FLORIAN MATTERN

 

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