Les raisins,
lors que les filles des vignes les foulent de leurs pieds,
aspirent à plus grande gloire

après pénitence prolongée,
temps de silence et de réclusion
dans un obscur cellier.

L’argile,
lors qu’un potier la pétrit, espère renaître,
trouver nouvelle raison d’être

et trôner,
joue contre joue, sur l’épaule d’une jolie damoiselle,
après l’épreuve du feu.

Nous aussi
avons pris rendez-vous avec le destin, et éprouvons
les douleurs d’enfantement d’une nouvelle

cité,
mais nous préparons à un long temps d’exil
dans le désert d’une

décharge.

Extrait de Kala Ghoda, Poèmes de Bombay, « Poésie / Gallimard », 2013.
Traduit de l’anglais par Pascal Anquien et Laetitia Zecchini.
© 2004, 2006 Soonoo Kolatkar © Éditions Gallimard, 2013, pour la traduction française


Rendons grâce au recyclage ! La poésie peut être l’art de convertir le réel en vers. Et chaque détail compte pour une opération réussie. Arun Kolatkar (1931-2004) a écrit dans sa langue maternelle, le marathi, et en anglais. Les cultures occidentales et indiennes sont le creuset de son œuvre qui prend la vie quotidienne pour objet. Rien n’est indigne du regard de l’écrivain musicien et graphiste. À Jejuri, lieu de pèlerinage, il s’amuse à découvrir un dieu dans chaque pierre. Dans le recueil Kala Ghoda, dont est extrait « Cantique des ordures », il dépeint une journée d’un quartier de Bombay. Aucune fausse compassion pour chanter une ogresse défigurée qui s’improvise nourrice, une fée amoureuse qui épouille son chéri. Plutôt une joie généreuse qui inclut animaux et détritus dans une célébration pleine d’humour. Car, dans une Inde en devenir, même les ordures prennent « rendez-vous avec le destin », selon la formule célèbre de Nehru à la veille de l’indépendance du pays. Le matin, elles s’entassent en installations éphémères, hommages à « l’impermanence essentielle de l’art ». Puis, dans la benne, foulés par une balayeuse qui danse comme Meera, -poétesse mystique du xvie siècle, « coquilles d’œufs et fleurs mortes, / feuilles sèches et écorces de melons, / capotes et bouts de pain, / os de poulet et épluchures / libèrent enfin leur essence, / exsudent le vin / des choses vaines ». Sentez-vous les effluves qui s’élèvent entre les orteils ? La matière qui devient un « nectar de grâce » ? Il y a quelque chose de sacré dans les transformations de nos rebuts.

 

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