Retour au pays
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« Réveillez-vous. Nous y sommes », amorça le lieutenant. Je regardai à travers le hublot et aperçus une bannière qui s’agitait dans le vent, déchirée, à l’extérieur du terminal. Elle nous remerciait pour le service rendu à la patrie et nous souhaitait un bon retour aux États-Unis.
C’était tout. Les portes s’ouvrirent et nous avançâmes tant bien que mal sur la passerelle en direction de l’éclat lumineux de l’aéroport. Il brillait de l’intérieur, et de petites lettres en néon contre les murs et les sols blancs me troublèrent. Mon esprit s’assombrit. Je vis une nation s’ouvrir dans la nuit.
Elle se déroulait au-delà des piémonts et des collines jusqu’à la face ouest des Blue Ridge Mountains, où les plaines reposaient doucement dans le crépuscule rose sous les heures accumulées. Entre les deux côtes, une année s’était écoulée, sans moi, comme les verges d’or et les pissenlits surgissant d’un sol rocailleux.
Nous passâmes par une porte spéciale et restâmes dans une lumière froide et artificielle à écouter le ronron des néons. Quelques derniers mots des officiers et des soldats plus âgés et nous serions libérés. L’habituel devenait remarquable, le remarquable ennuyeux, et, par rapport à ce qui se situait entre les deux, je me sentais abattu et perturbé.
Le lieutenant nous donna les consignes de sécurité. Les trucs standard : « Pour finir, ne buvez pas si vous conduisez, et si votre dame vous met en rogne, souvenez-vous… »
Nous répondîmes à l’unisson, « Au lieu d’une branlée, donnez-lui un baiser. » Nous restâmes en formation serrée jusqu’à ce que le premier sergent aboie, « Rompez », mais nous ne nous dispersâmes pas dans toutes les directions d’un seul coup. Non, ce qui restait de notre unité se dissolvait lentement, s’éparpillant à partir du centre telle une flaque d’huile sur l’eau. Il y avait de la confusion dans les yeux des autres soldats. J’en entendis même certains dire, « Bon, qu’est-ce qu’on fait maintenant ? » Cela me traversa également l’esprit, mais j’enfonçai mes ongles dans mes paumes jusqu’à m’écorcher la peau, et je pensai, Non, pas question, carrément pas question, quelque chose d’autre à présent.
Les fantômes des morts occupaient tous les sièges vides des portes devant lesquelles je passais : des garçons déchiquetés par des obus de mortier, des roquettes, des balles, des bombes artisanales, au point que lorsque nous essayions de les transporter au poste médical avancé, leur peau se rétractait, ou leurs membres arrachés tenaient à peine en place, et je me disais qu’ils étaient jeunes, qu’ils avaient des copines chez eux ou des rêves qui, pensaient-ils, donnaient de l’importance à leur vie. Ils avaient eu tort, bien entendu. Vous ne rêvez pas lorsque vous êtes morts. Moi je rêve. Le rêve du vivant, mais ne comptez pas sur moi pour dire merci.
Je trouvai finalement le seul bar ouvert dans le terminal et m’assis sur un tabouret qui semblait juste sorti de l’usine. Tout dans ce bar et dans cet aéroport était neuf et aseptisé. Le carrelage au sol était immaculé, et je me rendis compte que je laissai des empreintes derrière, comme pour m’aider à retrouver mon chemin au retour. Je commandai une bière et posai mon argent sur le comptoir en bois clair et laqué. En y voyant l’étrange reflet de mon visage, je reculai brusquement mon tabouret.
© Kevin C. Powers, 2012
© 2013, Éditions Stock pour la traduction française d’Emmanuelle et de Philippe Aronson
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