L’image hallucinante des tours jumelles de New York frappées par les avions-missiles d’Al-Qaïda semblait indépassable dans la mise en scène froide et calculée de l’horreur. Il suffit de prononcer ces deux mots, 11-Septembre, pour que nos esprits reconstituent aussitôt ce spectacle dément né de cerveaux aussi enragés que méthodiques. Mais de ce brasier humain saturé de métal, de verre et de cendre, d’autres images sont sorties comme d’un ventre immonde, là où se perd toute foi dans l’homme. On ne pense pas à la statue de Saddam Hussein déboulonnée dans Bagdad tombée le 9 avril 2003, ni même à la pendaison filmée du dictateur déchu à la veille de Noël 2006, après un procès entaché de graves irrégularités. Cette perte d’humanité, elle est tout entière dans ces photos de la prison d’Abou Ghraib, près de Bagdad, qui firent le tour du monde en avril 2004. D’abord sur CBS, puis dans le New Yorker sous la plume de Seymour Hersh. Trente-cinq ans plus tôt, le même reporter avait révélé le massacre de My Lai, au Vietnam, un crime de guerre qui avait bouleversé l’opinion américaine. Cette fois, la torture était mise à nu avec des documents accablants. Un prisonnier irakien dénudé tenu en laisse par une soldate, un autre allongé, couvert d’excréments, une banane dans l’anus. « De victime d’un épouvantable attentat, écrit Sylvain Cypel, l’Amérique passe au statut d’agresseur immoral. » Passons – ou ne passons pas – sur le « supplice de la baignoire » (ingestion forcée d’eau) ou sur le maintien pendant des heures en chambre froide, à Abou Ghraib ou à Guantanamo.

Et puis il y avait eu le début de la guerre en Irak. Un mauvais début voulu par les États-Unis sans l’aval des Nations unies. On n’a pas oublié le discours du Premier ministre français Dominique de Villepin trouvant les mots vibrants pour mettre en garde son grand allié contre la guerre « qui est toujours la sanction d’un échec ». Tombée du piédestal de son hyperpuissance, l’Amérique de Bush junior se découvrit soudain vulnérable, réalisant amèrement, nous dit l’ancien ambassadeur de France à Washington, Jean-David Levitte, que « la seule hyperpuissance militaire ne règle pas les problèmes ». En forgeant sous l’impulsion de Condoleezza Rice une nouvelle doctrine légitimant la « guerre préventive », les États-Unis se sont fourvoyés, comme l’a montré le conflit en Afghanistan que les boys quitteront le 1er septembre, après vingt ans de présence désastreuse. Une guerre de trop. À l’issue de ces attentats sans précédent, note l’historienne Jenny Raflik, les victimes du terrorisme de masse auront obtenu un statut, une reconnaissance individuelle, à l’image des 2 983 noms gravés à New York sur les parapets de bronze qui ceinturent les bassins érigés à Ground Zero, là où se dressaient les Twin Towers. Mais dans nos mémoires restent gravées des images terrifiantes que rien n’effacera. 

 

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