On compte aujourd’hui environ douze millions de personnes en situation de précarité énergétique et 5,2 millions de logements considérés officiellement comme des passoires thermiques, mais ces chiffres sont sans doute sous-évalués. À la Fondation Abbé-Pierre, le sujet nous préoccupe beaucoup à l’approche de l’hiver, d’autant que, même avec le bouclier tarifaire, l’augmentation des tarifs de l’énergie sera de 15 % pour les ménages en janvier prochain.

Il est important de comprendre comment nous sommes arrivés à ce chiffre de douze millions de personnes en situation de précarité énergétique. Nous avons identifié trois facteurs.

Le premier, c’est la question de la précarité : si tous les ménages avaient suffisamment de ressources, il n’y aurait pas de précarité énergétique. Ils dépenseraient beaucoup trop pour le chauffage, mais ils pourraient le faire. Or, on estime que 14,5 % des Français sont en situation de pauvreté – même 20 % si on prend le taux de pauvreté en conditions de vie [NDLR : le taux de pauvreté s’appuie sur un niveau de ressources monétaires, le taux de pauvreté en conditions de vie sur une situation de difficulté économique durable]. Et deux millions des passoires thermiques sont occupées par des ménages modestes ou très modestes.

Le deuxième facteur, c’est l’augmentation du coût de l’énergie et du logement, celui-ci représentant aujourd’hui le premier poste dans les dépenses – environ 30 % du budget. Cela n’a pas toujours été le cas ! Dans les années 1960, c’était plutôt 12 %. Avant la crise actuelle, liée à la montée en flèche des coûts de l’énergie, il y avait d’ailleurs déjà eu des augmentations assez significatives des prix du gaz et de l’électricité.

Troisième et dernier facteur : la mauvaise qualité thermique d’un trop grand nombre de logements. On paie aujourd’hui le prix de notre insuffisance d’hier : nous aurions dû enclencher de manière bien plus forte une dynamique de rénovation de ces passoires thermiques.

Nous disposons déjà d’indicateurs qui montrent les difficultés croissantes auxquelles font face les ménages : en 2021, il y a eu 780 000 coupures ou réductions de puissance d’énergie, contre 550 000 en 2020… Cela corrobore ce que nous constatons sur le terrain. Mais ce que nous apprennent nos rencontres avec les personnes touchées, c’est qu’il ne faut pas uniquement prendre en compte les coupures ou les réductions de puissance. Les gens les plus pauvres soit ne se chauffent déjà plus, ou mal, soit sacrifient d’autres dépenses, sans qu’on puisse mesurer exactement ce que ça représente. Certains se rassemblent dans une seule pièce, pour n’avoir à chauffer que cette partie du logement, ou rognent sur d’autres dépenses de première nécessité comme la santé ou l’alimentation. La situation nous inquiète beaucoup ; elle risque de provoquer des dégâts sociaux et des impacts de différentes natures, notamment dans le domaine sanitaire. Chez les personnes pour qui chaque euro compte, une augmentation de 15 % des dépenses de première nécessité, c’est soit la privation, soit le basculement. Il y a une vraie fragilité, que nous avons déjà constatée pendant la crise du Covid.

« On paie l’absence de rénovation des passoires thermiques »

L’État consacre 16 milliards d’euros nets au dispositif du bouclier énergétique [NDLR : le reste des 45 milliards d’euros que coûtera ce dispositif en 2023 sera couvert par une ponction sur les surprofits des opérateurs des énergies renouvelables]. Cela pose, au fond, plusieurs questions importantes. Du point de vue écologique notamment, puisqu’on continue à financer l’utilisation d’énergies fossiles. Mais surtout, cela ne va pas aider davantage ceux qui en ont le plus besoin, lesquels vont voir, comme les très riches, augmenter leur facture de 15 %, ce qui pour beaucoup ne passera pas. Pour notre part, nous défendons deux types de mesures : les premières relèvent de l’urgence. Il s’agit en particulier de mettre en place un chèque énergie d’un montant triplé pour soutenir les ménages pauvres et modestes. Aujourd’hui, la somme couverte oscille entre 50 et 220 euros par an, quand le coût moyen pour se chauffer en France s’élève entre 1 600 à 1 700 euros – bien plus dans le cas des passoires thermiques. Il faudrait indexer ce dispositif sur l’évolution des coûts de l’énergie. Dans la même logique, nous appelons à un doublement du forfait de charges pris en compte par les APL. L’autre volet de nos demandes est constitué de mesures structurelles pour accélérer les rénovations thermiques et atteindre les objectifs nationaux de réduction des émissions de gaz à effet de serre.

Mais il faut concentrer les efforts sur ce qui est le plus efficace et le plus utile. On peut ainsi regretter qu’aujourd’hui ce que finance MaPrimeRénov’ concerne à 85 % des monogestes – isoler les combles, changer les fenêtres, etc. Il faudrait privilégier des rénovations beaucoup plus performantes, des moyens accrus et un véritable accompagnement des ménages dans leur démarche de rénovation, du repérage à la mise en œuvre des travaux, en passant par le suivi des dossiers. C’est ce que nous faisons auprès des ménages pauvres que nous accompagnons pour les sortir des logements passoires et leur redonner du pouvoir d’achat. Car, à force d’enchaîner les crises, on constate un ancrage de plus en plus lourd des plus pauvres dans la pauvreté. Et ceux qui sont sur un fil ont tendance à basculer face à la répétition des difficultés. Il faut arrêter les chèques ponctuels, infantilisants, et se donner les moyens de soutenir les ménages les plus en difficulté afin d’accélérer des rénovations performantes. 

Conversation avec O.R.

 

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