« Cette année, en septembre, on a tourné le bouton pour la mise en route du frigo avec la boule au ventre », confie Daniel Bouquillon, producteur d’endives dans le Pas-de-Calais. Alors que l’exploitation familiale, lancée en 1950, doit signer un nouveau contrat d’électricité, la hausse des prix de l’énergie pèse sur son avenir. « L’augmentation de l’électricité, on l’a déjà subie avant la guerre en Ukraine, se souvient l’agriculteur. En 2021, l’heure pleine en hiver nous revenait à 5,80 centimes du kilowatt. Au 1er janvier 2022, nous avons signé un nouveau contrat à 22,20 centimes pour un an seulement, car cela nous semblait énorme. » Sauf que, depuis, les prix ont continué leur croissance exponentielle. « Aujourd’hui, on nous parle de 60 ou 70 centimes, on ne sait même plus… » L’électricité, qui sert principalement à faire fonctionner les frigos pour conserver les endives, risque d’atteindre 25 à 30 % des coûts de production de l’exploitation – contre 3 % auparavant. À tel point que sans contrat plus avantageux, la famille Bouquillon risque d’avoir plus de dépenses que de rentrées financières. « La seule solution, ce sera d’arrêter les frigos et de tout jeter… On ne va pas se lever pour perdre de l’argent ! »

Si certains agriculteurs sont particulièrement concernés, aucun secteur n’est épargné. L’industrie, dont les entreprises sont parfois très énergivores, est durement touchée. C’est aussi le cas des artisans, notamment les boulangers qui doivent faire fonctionner au quotidien fours et appareils de réfrigération. « Les artisans qui doivent renouveler leur contrat d’électricité maintenant se trouvent en grande difficulté, confirme Sébastien Doley, secrétaire général du syndicat des Boulangers du Grand Paris. Dans le 16e arrondissement parisien, un boulanger s’est ainsi vu proposer un prix quasiment dix fois plus élevé que son contrat actuel ! »

« La seule solution, ce sera d’arrêter les frigos et de tout jeter… »

Une situation d’autant plus intenable que l’énergie n’est pas la seule à augmenter. « Tous les postes principaux de dépenses sont concernés : énergie donc, mais aussi matières premières (farine, lait, œufs, beurre…) et salaires, détaille le représentant des boulangers franciliens. C’est une situation très inquiétante, poursuit Sébastien Doley, qu’on doit mettre en regard avec d’autres épisodes : les attentats à Paris, la crise liée au Covid-19 et les mouvements sociaux. » Ainsi, les entrepreneurs qui avaient obtenu des prêts garantis par l’État (PGE) dans le contexte de la crise sanitaire doivent désormais commencer à les rembourser.

Le bouclier tarifaire instauré par l’État à destination des particuliers pour 2023, qui limite la hausse des prix à 15 %, a été élargi en septembre dernier aux entreprises de moins de dix salariés ayant un chiffre d’affaires inférieur à deux millions d’euros. Problème : il faut également disposer d’un contrat avec une puissance d’électricité de 36 kilovoltampères maximum. Ce qui n’est pas le cas de nombreux artisans boulangers. Ou de la TPE savoyarde Mecanhydro, spécialisée en maintenance hydraulique. « Même si nous sommes une TPE de moins de dix salariés et que nous réalisons moins de deux millions de chiffre d’affaires, nous avons besoin d’une puissance électrique supérieure à 36 kilovoltampères, ce qui fait que nous ne bénéficions ni du tarif réglementé ni du bouclier tarifaire », déplore Marie-Emmanuelle Contesse, sa dirigeante. Elle doit signer dans les jours prochains un contrat d’électricité pour l’année 2023. Alors qu’elle paie pour le moment 7 500 euros d’électricité par an, elle dispose de deux offres : l’une à 18 600 euros annuels, avec un engagement sur trois ans ; l’autre à plus de 26 000 euros annuels pour deux ans d’engagement. « Nous pourrions supporter ces frais, mais ils auraient un impact fort en rognant entre 11 et 20 % de notre résultat, estime Marie-Emmanuelle Contesse. Ce n’est pas rien, surtout que nous sommes dans une dynamique d’investissements que nous ne pourrions plus réaliser. Cela nous coupe l’herbe sous le pied. »

« On ne va pas perdre le chicon comme on a perdu le charbon ! »

Bien sûr, les entrepreneurs réfléchissent à des solutions de sobriété. Certains artisans boulangers songent à arrêter la cuisson tout au long de la journée pour n’utiliser les fours que le matin. Quitte à revoir l’organisation du temps de travail en commençant plus tôt pour optimiser l’utilisation des heures creuses, voire « super creuses », proposées à des tarifs avantageux par EDF. Le fils de Daniel Bouquillon, lui, a sérieusement étudié la possibilité d’installer des panneaux photovoltaïques sur le toit de l’exploitation d’endives. Un investissement qui pourrait être rentabilisé en six ans. « Mais qui sait si l’exploitation sera encore là ? On n’a pas de visibilité, donc on ne se lance pas… » balaie le père. En Savoie, la TPE Mecanhydro s’était déjà investie dans une démarche écoresponsable en 2016. « Nous avions alors réussi à diminuer notre consommation de 14 %, se souvient Marie-Emmanuelle Contesse. Mais ce levier a déjà été utilisé ! »

Inquiets, tous attendent une aide de l’État. « Un système simple, sans remboursement décalé dans le temps, prévient Sébastien Doley. Car des formalités qui nécessiteraient par exemple l’intervention d’un expert-comptable sont très dissuasives pour de petites entreprises ! » Daniel Bouquillon se fait du souci pour la souveraineté alimentaire française si les producteurs sont obligés de mettre la clé sous la porte. « Je ne peux pas imaginer que les Hauts-de-France arrêtent l’endive… on ne va pas perdre le chicon comme on a perdu le charbon ! » Un dispositif d’aide aux entreprises petites et moyennes, aux collectivités et aux établissements publics de près de 12 milliards d’euros a été annoncé par le gouvernement le 27 octobre. 

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