« J’ai toujours aimé bricoler, se souvient Antoine Sachs. Essayer, tâtonner, recommencer. » Journaliste spécialisé dans l’écologie, Antoine aime construire des objets non polluants, comme ce vélo électrique fait main qui l’accompagne dans tous ses reportages. Mais depuis quelques années, il a mis entre parenthèses sa carrière journalistique pour se consacrer à un nouveau projet d’envergure : devenir complètement autonome en énergie.

« C’est l’aboutissement d’un long processus, explique le quadragénaire. Après avoir passé des années à raconter les expériences écologiques des autres, j’avais moi aussi envie d’agir. » Les signes avant-coureurs d’une crise énergétique, qu’il perçoit avant même que la guerre en Ukraine n’éclate, le décident à sauter le pas.

Il quitte son petit appartement du 18e arrondissement de Paris et acquiert un vaste terrain agricole dans les Yvelines, non loin de Rambouillet. Outre les champs, il dispose de deux bâtiments, l’un en béton et l’autre en armature bois : « Ce qui se faisait de pire dans les années 1980 en termes de matériaux et d’isolation », remarque-t-il, amusé. Les rendre « verts » et autonomes sera un véritable défi.

« D’une facture de 150 euros par mois, je suis passé à zéro. Mon équipement devrait être amorti en moins de quatre ans ! »

Le chantier commence. Par souci d’économie et par goût de l’expérimentation, Antoine décide de réaliser tous les travaux lui-même. Première étape : l’acquisition de panneaux photovoltaïques, qu’il décide de poser au sol. « Mon toit n’est pas fini, alors je n’ai pas vraiment eu le choix ! » ironise-t-il. Un contretemps qui jouera en sa faveur puisqu’il découvrira plus tard que les panneaux au sol se nettoient facilement et que leur dos refroidit rapidement, ce qui les rend plus efficaces.

Pour être parfaitement indépendant, Antoine doit également pouvoir stocker l’électricité qu’il produit. « En général, c’est là que l’on abandonne, car les batteries sont onéreuses, polluantes, et difficiles à trouver. » La plupart des foyers qui produisent leur propre énergie ne la stockent d’ailleurs pas, mais la renvoient directement dans le réseau principal, auquel ils doivent donc rester connectés. Avec, pour conséquence, le fait d’être privé d’électricité lorsqu’il y a une coupure sur le réseau. Antoine, lui, est parvenu à contourner le problème en bricolant une batterie solaire à partir d’une ancienne batterie de voiture électrique. Elle lui garantit vingt-quatre heures d’électricité, même en cas de black-out complet ou d’absence totale de soleil.

« Le plus sécurisant, ce serait un réseau hyperlocal entre voisins »

En avril dernier, Antoine résilie enfin son abonnement Engie. Sa maison est chauffée grâce à un poêle à bois et son installation solaire permet d’alimenter en électricité un chauffe-eau, un lave-linge, un lave-vaisselle, une chaîne hi-fi, un scooter électrique, des téléphones, des ordinateurs et du petit électroménager. Les économies se sont fait sentir tout de suite. « D’une facture de 150 euros par mois, je suis passé à zéro. Mon équipement devrait être amorti en moins de quatre ans ! » se réjouit-il.

Mais tout ne se passe pas toujours comme prévu. « Même si l’on est préparé à faire des changements, il est difficile d’anticiper exactement en quoi ils vont consister, et ce qui va poser le plus de problèmes », reconnaît Antoine. Son chauffe-eau électrique, par exemple, lui a réservé une mauvaise surprise : il est très gourmand en énergie, à tel point que sa douche chaude du matin consomme une bonne partie de la production de la journée. Lorsqu’il reçoit des gens chez lui, pour leur épargner la douche froide, Antoine doit même reprendre temporairement un abonnement électrique. « Je me suis rendu compte que l’électricité est peut-être ce qu’il y a de moins efficace pour produire de la chaleur. Elle devrait être réservée à ce qui ne peut fonctionner sans, comme les ordinateurs, les machines à laver… » C’est pourquoi il prévoit d’ajouter à son installation des panneaux thermiques, récupérés à prix d’or sur le toit d’un voisin, qu’il utilisera pour chauffer l’eau.

Antoine estime n’avoir renoncé à rien, « sinon à la possibilité de lancer le lave-linge en même temps que le lave-vaisselle ». Il a cependant dû changer son rapport à la consommation et utilise désormais l’électricité « quand il y en a ». Si ce changement de mode de vie peut sembler radical, il est, aux yeux d’Antoine, accessible à tous. Il devient en effet de plus en plus facile de s’informer en ligne, grâce à des forums où s’échangent conseils et bons plans. Et ils sont de plus en plus nombreux à sauter le pas, puisque le réseau électrique Enedis a recensé 100 000 foyers consommant leur propre production énergétique en 2021, contre seulement 20 000 en 2018. Antoine a lui-même commencé à proposer des stages et ateliers, pour transmettre son expérience aux curieux de l’autonomie. Et se prend parfois à rêver d’une indépendance à plus grande échelle : « Le plus sécurisant, ce serait un réseau hyperlocal entre voisins, imagine-t-il. Des gens comme moi, avec toutes sortes de moyens de production – photovoltaïques, éoliens, gazogènes… – reliés entre eux par de simples câbles, avec un stockage intelligent, via des batteries de seconde main, ou bien des batteries de véhicules en stationnement. » Pour Antoine en tout cas, il n’y aura pas de retour en arrière. Et pour cause : chez lui, aujourd’hui, « la crise énergétique n’existe pas ». 

 

Portrait par LOU HÉLIOT

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