La sexualité n’est finalement qu’une forme, la plus intime, d’interaction avec l’autre. Or, concurrencées par les activités de divertissement numérique, comme les plateformes de streaming ou les réseaux sociaux, ces interactions en « présentiel » sont en baisse. D’après une récente enquête de l’Ifop sur la sexualité des Français, l’inactivité sexuelle chez les jeunes de moins de 25 ans, définie comme le fait de ne pas avoir eu de relations sexuelles pendant une année, atteindrait 28 %, tandis que la tranche d’âge suivante, les 25-34 ans, connaîtrait au contraire le taux d’activité sexuelle hebdomadaire le plus important. Doit-on y voir un effet d’âge ou bien de génération ? Autrement dit, est-ce que l’isolement qui a frappé les 18-24 ans de la génération Covid, poussés bien malgré eux au repli sur soi, va produire des effets sur le long terme ? En effet, la crise sanitaire et les confinements ont provoqué une glaciation sociale, dont les conséquences se font encore sentir.

On assiste d’ailleurs à un retournement de tendance : les secteurs du tourisme et de l’hôtellerie-restauration, par exemple, après avoir été en berne dans les années suivant l’épidémie de Covid, se portent plutôt bien. En promettant à la fois une possibilité de « déconnexion » et une forme de rencontre avec l’altérité – qu’il s’agisse de paysages, de cultures, de personnes –, ces activités suscitent à nouveau du désir. C’est un paradoxe intéressant : les phénomènes de repli sur soi s’accompagnent d’une envie de sortir de son cocon.

La solitude revêt donc plusieurs visages, et ne peut être limitée aux personnes isolées, souvent âgées, vivant dans des espaces ruraux. De jeunes actifs habitant dans de grandes agglomérations peuvent être touchés. L’emploi de l’expression « épidémie de solitude » permet de souligner la diversité des profils qui en souffrent, tout comme le fait que cette tendance à la baisse des interactions sociales est devenue une question de santé publique.

La montée en visibilité de la solitude de la jeunesse en fait émerger une autre, celle de sa précarisation sociale, ce qui signifierait que le lien social serait réservé à ceux qui en ont les moyens. Dans son ouvrage Hanging Out : The Radical Power of Killing Time, l’autrice Sheila Liming explique que, de manière générale, les gens ne passent plus autant de temps avec les autres qu’avant, en partie parce que pour passer du temps à plusieurs, il faut des lieux et du temps. Cela renvoie à l’idée de la privatisation de l’espace public : les gens sont soit chez eux, soit au travail. Sortir de chez soi, cela coûte cher : l’essence, les restaurants, les cafés…

En outre, nous traversons aujourd’hui un moment charnière qui nous amène à reconsidérer nos attentes vis-à-vis des autres. Le fait que les jeunes fassent moins la fête dans des boîtes de nuit, par exemple, ne doit pas forcément être interprété comme relevant de la peur de l’autre, mais peut-être comme une envie de maîtriser l’environnement dans lequel les relations vont pouvoir se nouer.

Les jeunes générations entretiennent une relation ambiguë avec les technologies de « lien social », qui peuvent permettre de libérer la parole ou d’entretenir des liens amicaux ou amoureux, mais qui risquent paradoxalement de les isoler les uns des autres. Il est intéressant de noter que le succès des applications de rencontre côtoie cet accroissement de la solitude chez les jeunes. Ces applications, qui permettent de multiplier les possibilités de « dating », ont pu entraîner une forme de lassitude vis-à-vis des rencontres. La boulimie sociale qu’encourage la multiplication des plateformes de rencontre (réseaux sociaux, applications de rencontre…) se voit aujourd’hui questionnée, car, à l’image d’une malbouffe relationnelle, elle industrialise nos interactions au détriment de leur qualité et de l’entretien des liens forts. Ces derniers, moins nombreux mais plus profonds, peuvent d’ailleurs être cultivés et raffermis grâce aux outils numériques – les conversations groupées entre des membres d’une même famille sur WhatsApp se sont par exemple beaucoup développées. Il y aura probablement chez les jeunes une recherche de relations plus pérennes, qu’il s’agisse de sexualité comme de rapports amicaux, que ce soit à distance, par le truchement des réseaux, comme dans ce qu’on appelle la « vraie vie ».  

 

Conversation avec Emma Flacard

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