« Moi, Thomas, 28 ans et ancien hikikomori »
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J’approche des trente ans, j’habite chez mes parents, en banlieue d’une grande ville, et pendant presque trois ans, j’ai vécu enfermé dans ma chambre.
Cela ne s’est pas fait du jour au lendemain. J’ai commencé à me mettre en retrait dès le lycée, période où j’ai subi du harcèlement et où j’ai eu du mal à tisser des liens. Je suis ensuite allé à la fac, mais ma situation ne s’est pas arrangée. Je ne sortais que pour aller en cours. À la fin de mes études, je n’ai tout simplement pas embrayé sur le travail, comme les autres. Je suis resté chez moi. Dans ma chambre.
Progressivement, tout devient de plus en plus difficile. Le monde extérieur me semble hostile, tout m’angoisse.
Il y a le Covid. Puis la guerre, et la menace climatique imminente. Je me demande : À quoi bon ? La « vraie vie », le monde de dehors, ne me paraît vraiment pas désirable, et je ne me sens bien nulle part.
Et puis il y a la peur des autres, le côté relationnel qui me freine, sûrement à cause de mes expériences au lycée. Je suis paralysé par ce qu’ils vont penser, j’ai l’impression que tout le monde va me juger. Qu’ils vont savoir que je n’ai pas répondu aux attentes, que je suis en retard. C’est aussi pour cela que je ne réponds plus à personne, que je ne vois plus personne. Je coupe les ponts avec tous mes amis d’enfance. Je vis presque complètement en solitaire. Je garde quand même le contact avec ma famille proche, on se parle un petit peu, mais dès qu’ils essaient d’évoquer ma situation, je me braque et je me retire un peu plus.
Ma journée type : si je me réveille tôt, je vais faire un petit tour dans le quartier, toujours le même, juste pour prendre un peu l’air. Uniquement le matin. C’est mieux le matin car il n’y a personne dans les rues. Sinon, je reste dans ma chambre. Je suis sur mon lit, j’écoute de la musique, ou bien je regarde des vidéos YouTube sur le sport ou sur les actualités, dont j’oublie immédiatement le contenu. Lire, je n’y arrive pas. Les jeux vidéo non plus. Je suis complètement passif.
Est-ce que je souffre de cet isolement ? Difficile à dire. Sur le moment, je ne mets pas les mots dessus, sur ma solitude. Je vis dans une bulle où le temps passe vraiment vite. Avec Internet, on peut facilement ne penser à rien, tout oublier. Mais de temps en temps, il y a de brefs moments où je sors la tête de l’eau et où je commence à réfléchir, et là, la honte s’installe. Je refuse même de toucher le RSA car je ne m’en sens pas digne.
Au bout de deux ans de cet isolement complet, mes parents sautent le pas et vont voir un psychiatre qui se spécialise dans l’accompagnement des familles. Je découvre alors le terme japonais hikikomori, et je peux enfin mettre un mot sur mon expérience. En faisant quelques recherches sur Internet, je prends connaissance d’un autre concept japonais qui désigne « la capacité à recevoir de l’aide ».
Je me décide à aller consulter. Je sors dans le « vrai monde » pour la première fois depuis deux ans. Il faudra une autre année pour que je puisse vraiment revenir dans la vie. Je m’inscris en salle de sport, et je me rends compte que personne ne me juge. En vérité, tout le monde ne pense qu’à soi. Je renoue avec des amis d’enfance. Quand je leur raconte, je suis étonné de voir à quel point ils sont compréhensifs. Pareil pour ma famille. Personne ne me juge, ils sont simplement heureux pour moi. Je me rends compte que je me suis imposé cette solitude parce que je m’imaginais des choses : le regard des autres, les attentes qui pesaient sur moi… Je me suis monté tout un scénario qui faisait que le retrait était la seule option. Je pense souvent à la nouvelle Bartleby d’Herman Melville. Elle raconte l’histoire d’un employé de bureau qui dit tout le temps : « I would prefer not to », « Je préférerais ne pas », et qui finit par ne plus quitter son bureau et ne plus rien faire du tout. Aujourd’hui, je me demande ce que je voudrais faire, ce qui me plairait vraiment.
J’ai trouvé un petit boulot. C’est alimentaire, ce n’est pas du tout ce à quoi je pouvais aspirer avec mes études, mais c’est un grand pas. Et c’est dans le secteur des services, donc je suis confronté à des gens tous les jours. D’une certaine manière, j’ai l’impression de m’être libéré du poids des attentes, des injonctions. Aujourd’hui, je ne suis plus que très rarement seul. Et quand je le suis, ça ne me pèse plus, parce que je l’ai choisi. Je n’ai plus l’impression d’être « tout seul ».
Conversation avec LOU HÉLIOT
* Le prénom a été modifié.
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