Les moments de solitude, qui permettent de se construire en tant qu’individus, ont tendance à apparaître de plus en plus précieux. Rappelons toutefois que la solitude reste avant tout un fléau pour une large part de la population française. Il est ainsi nécessaire de faire de la lutte contre l’isolement social une grande cause nationale. Lorsque cela s’inscrit dans un temps long, qu’il ne s’agit pas simplement d’une situation de rupture liée à un déménagement ou à un changement d’emploi, l’isolement peut provoquer des situations dangereuses et menacer l’accès aux soins, aux droits, à la vie sociale. Pour chacun d’entre nous, l’accès au monde se fait à travers une médiation relationnelle : c’est parce que votre frère vous parle de telle offre d’emploi que vous postulez ou bien parce que votre amie vous fait part de telle démarche juridique que vous l’initiez… L’isolement concerne des individus souvent déjà fragilisés, victimes de discriminations – personnes en situation de handicap, migrants, etc. La solitude chez les personnes âgées est d’ailleurs très importante : un tiers des gens de plus de 75 ans, en France, sont en situation d’isolement. Chez les jeunes, l’isolement social a augmenté de manière très préoccupante, passant de 2 % en 2010 à 12 % en 2020.

« L’attention aux proches aidants est très importante »

Il est donc urgent que des politiques publiques s’emparent de cette question de manière explicite, comme cela a été fait au Royaume-Uni où un secrétariat d’État chargé des personnes isolées a été institué en 2018, ou au Japon, où un ministère chargé de la lutte contre la solitude et l’isolement a été créé en 2021. De 2014 à 2020, nous avons mené avec l’association Monalisa (Mobilisation nationale contre l’isolement des personnes âgées) un grand travail sur une soixantaine de départements : des acteurs variés, allant des collectivités territoriales aux professionnels du soin, se sont rassemblés pour œuvrer autour de la question de l’isolement social sur des territoires de grande proximité. Des solutions intéressantes ont été identifiées, comme la mise en place d’équipes citoyennes, c’est-à-dire de groupes de bénévoles de proximité en lien avec les acteurs de l’accompagnement social et médical afin de créer des relations avec des personnes très isolées, à travers des activités dans le quartier, des visites à domicile... S’engager dans le bénévolat est d’ailleurs un moyen de se prémunir contre l’isolement et de se créer un réseau relationnel. Il serait également pertinent de mieux articuler les métiers du soin aux associations : une auxiliaire de vie qui se rend régulièrement chez une personne âgée de 80 ans et la voit constamment seule peut en effet évaluer si cette personne a besoin d’aide et réfléchir aux solutions vers lesquelles l’orienter. Elle est donc en position d’assurer une médiation entre la personne isolée et les bénévoles d’une association adaptée. L’attention aux proches aidants est aussi très importante, car beaucoup d’entre eux sont dans des situations assez similaires de celles des personnes isolées. Or, sans eux, tout notre système de soins s’effondrerait !

En outre, la structuration de la société pousse les individus à rester à domicile : on peut faire ses courses de chez soi, y consommer de la culture, y nouer des relations, se soigner – mais est-ce jamais vraiment choisi ? Nous allons tous nous retrouver peu à peu isolés chez nous, non parce que nous l’aurons souhaité mais parce que tout y concourt. L’isolement social touche l’ensemble de notre société : cela questionne notre capacité à être un voisin bienveillant et un citoyen solidaire. De nombreuses solutions ont été expérimentées. Les communes et les associations sont en première ligne ; il faut maintenant élaborer un programme d’action national. 

Conversation avec EMMA FLACARD

 

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