La France devrait-elle créer un « ministère de la Solitude » ? L’idée pourrait paraître saugrenue, surtout dans un pays qui a connu tant de difficultés pour se doter d’un gouvernement complet, mais elle pourrait finir par s’imposer, à l’instar de ce qui s’est fait au Japon ou au Royaume-Uni. L’objectif déclaré de ces institutions : lutter contre l’« épidémie de solitude » qui frappe leurs populations, à force de repli technologique, de mobilité professionnelle et de distanciation physique. Une épidémie amplifiée par la crise du Covid et ses confinements, dont les dégâts sur la santé commencent à être mesurés – augmentation de l’anxiété, de la dépression ou encore du risque de décès prématuré.

Aujourd’hui, plus d’un Français sur dix se trouve en situation d’isolement, et plus d’un quart d’entre nous affirme se « sentir seul », à commencer par les personnes âgées, les plus précaires, mais aussi une partie de la jeunesse hyperconnectée.

La communication est partout et la rencontre de plus en plus rare

Ce numéro du 1 hebdo vous propose un voyage au cœur de ces nouvelles solitudes, pour mieux comprendre leurs réalités, à l’image du phénomène préoccupant des hikikomori. Mais il s’agit aussi de comprendre notre rapport ambivalent à cette question. Car si l’isolement social a tout du fléau pour une partie de la population, une autre revendique son besoin de déconnexion, sa volonté de trouver un refuge pour s’extraire de la foule et mettre sur pause l’accélération de notre monde. Les uns souffrent de l’absence de lien. Les autres demandent à être enfin seuls, déchargés de la pression sociale, professionnelle ou familiale.

Ces deux polarités ne sont pas inédites. Dans une leçon de 1965, Hannah Arendt pointait déjà la distinction à opérer entre la solitude, qui ouvre la possibilité de la réflexion, du dialogue avec soi-même, et l’isolement, qui nous réduit à l’exclusion du monde, à l’impossibilité de toute pensée libre. Mais ces tensions sont aujourd’hui aggravées dans nos sociétés modernes, où la communication est partout et la rencontre de plus en plus rare, où l’espace public de la sociabilité s’efface au profit du domaine privé – pour le bonheur des uns et le malheur des autres. La question de la solitude sert alors de révélateur pour mesurer notre commune frustration face à la qualité de nos relations, qu’on juge en avoir trop ou pas assez. Quant à la réponse, elle est à trouver, en partie, dans les politiques publiques d’accompagnement social. Mais aussi dans la propre organisation de nos vies, dans cette possibilité d’aménager une « chambre à soi » chère à Virginia Woolf, espace physique ou mental où s’isoler et se retrouver, avant de renouer avec la vie sociale. 

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