Un non-désir qui dérange
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Selon les chiffres de l’Institut national d’études démographiques (Ined), seulement 5 % des personnes peuvent être considérées comme volontairement sans enfant. Les childfree, pour reprendre le terme utilisé par les Anglo-Saxons, représentent donc une minorité. Si l’on prend l’ensemble des personnes sans enfant, quelles qu’en soient les raisons, on arrive à environ 14 % pour les femmes et 20 % pour les hommes.
Par ailleurs, les chiffres montrent qu’il y a peu d’évolution concernant la proportion de SEnVol (personnes volontairement sans enfant) au cours du XXe et du XXIe siècle. Ce qui change, il me semble, c’est la possibilité de dire son non-désir d’enfant, et de le revendiquer par le biais des réseaux sociaux, d’où cette impression qu’une vague de « non-désir d’enfant » arrive. Mais cela relève plutôt du trompe-l’œil. La parentalité, et notamment la maternité, renvoie encore aujourd’hui à une identité positive et représente un statut social.
L'arrivée de la contraception et de l'IVG font de l’arrivée d’un enfant, un projet existentiel et responsable : l’enfant à venir pourrait/aurait pu ne pas naître.
D’après mes analyses des motivations des SEnVol, ce qui ressort d’abord est la haute idée qu’ils et elles se font du « métier de parent ». Contrairement au stéréotype qui fait d’eux des personnes peu responsables ou dans une certaine forme d’instabilité (professionnelle et personnelle), les SEnVol s’accordent avec les préconisations normatives concernant l’arrivée et l’éducation d’un enfant. Ces exigences parentales se sont par ailleurs renforcées depuis l’arrivée de la contraception et de l’IVG. Ces avancées sociales font de l’arrivée d’un enfant, un projet existentiel et responsable : l’enfant à venir pourrait/aurait pu ne pas naître. Ainsi, les SEnVol que j’ai interrogés expriment, quel que soit leur sexe, une impossibilité de se sentir existentiellement responsable d’un être qui dépend de la faculté qu’ont les personnes de se rendre disponibles pour éduquer « comme il se doit » un enfant. Enfin, une motivation liée au souci écologique, qui traverse l’ensemble de la société, semble de plus en plus mobilisée, notamment par les jeunes générations de SEnVol.
La maternité continue de faire partie des attentes sociales dont les femmes font l’objet, alors que ce n’est pas le cas pour les hommes avec la paternité.
La pression sociale à concevoir est toujours forte aujourd’hui, car « faire famille » est vu comme quelque chose de positif, associé au bonheur et à la stabilité. Les femmes, notamment, sont encore en partie déconsidérées quand elles sont sans enfant, car la maternité continue de faire partie des attentes sociales dont elles font l’objet, alors que ce n’est pas le cas pour les hommes avec la paternité. On retrouve derrière cette différence de traitement social une société inégalitaire et relativement binaire qui assigne aux femmes la charge de « prendre soin » et la disponibilité – de corps et d’esprit – pour autrui. Aussi, les femmes sans désir d’enfant dérangent. Ces femmes brouillent la frontière normative entre ce qui relève du féminin et du masculin. Ceci explique en partie les réflexions désobligeantes ou les mises à l’écart, plus ou moins subtiles, qu’elles peuvent subir.
La France, depuis la fin du XIXe siècle, est un pays familialiste et… nataliste – un certain nombre de discours et de politiques publiques encouragent à faire plus d’un enfant. Par exemple, l’arrêt de l’allocation familiale de base aux 3 ans de l’enfant s’il n’y en a qu’un, le calcul de l’impôt avec une part supplémentaire pour le troisième enfant, l’allongement de l’âge de départ à la retraite qui serait en partie lié au « manque d’enfants », l’idée qu’il serait délétère pour un enfant d’être « enfant unique », etc. La culture nataliste est encore bien prégnante.
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