Ils sont soignants, enseignants, pompiers, chauffeurs de bus ou de train, militaires parfois, la plupart agents administratifs de terrain. C’est un grand spleen qui les envahit. Plus encore, c’est un découragement, le sentiment d’avoir été trompés, méprisés, d’être livrés à eux-mêmes, d’avoir perdu le sens de leur engagement au service du public – n’est-ce pas la vocation première du service public ? L’impression d’être exploités aussi, même si la faiblesse de leur rémunération n’est pas la seule ni la principale cause de leur renoncement.

Car un jour, malgré les concours réussis, malgré l’envie qu’ils avaient de devenir fonctionnaires – un statut longtemps nimbé de prestige et synonyme de sécurité de l’emploi –, un jour ils claquent la porte et s’en vont. Tant pis pour l’idéal qui pouvait les animer (profs, infirmières et tant d’autres), tant pis pour l’avancement chèrement et lentement acquis. Ils partent, préparent une reconversion personnelle, démissionnent pour le privé ou le secteur associatif où ils se sentiront, croient-ils, plus utiles, mieux considérés. Moins quantité négligeable.

Une double urgence se fait sentir : réhabiliter le statut des agents publics et restaurer l’attrait de leur fonction

Ce sont les pourquoi de cette grande démission que nous avons voulu cerner dans ce numéro du 1. En prenant notamment le recul historique et idéologique nécessaire grâce à l’entretien éclairant que nous a accordé le haut fonctionnaire Sébastien Soriano, qui retrace les moments de rupture dans le fonctionnement des services publics. Servir le public, certes, mais depuis le reagano-thatchérisme – introduit en France sous l’ère Balladur et ardemment appliqué sous le quinquennat Sarkozy –, avec un credo impitoyable, broyeur de la dimension humaine : céder au culte de la performance, du résultat, évaluer chaque acte administratif (d’abord à l’hôpital) à l’aune des coûts, dans un contexte de déficits budgétaires combattus par Bruxelles, et d’une religion exacerbée de la mise en concurrence. Sans oublier les vagues de privatisations qui ont ébréché le piédestal sur lequel a longtemps reposé le service public.

Si ce dernier, nous rappelle le politiste Luc Rouban, bénéficie toujours de la confiance d’une majorité de Français, davantage que les entreprises privées ou les institutions politiques, une double urgence se fait sentir : d’abord réhabiliter le statut des agents publics, améliorer leur rémunération et leurs conditions de travail, et surtout restaurer l’attrait, disons même la désirabilité, de leur fonction, en lui redonnant le sens qu’elle a trop souvent perdu. Ensuite, fixer l’horizon des services publics de demain, dans une société en pleine mutation où l’État ne peut pas tout faire seul, mais doit inventer des collaborations et des coopérations efficaces. À visages humains. 

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