Certains moments clés ont-ils marqué la dégradation des services publics ?

Oui. De la même manière qu’il y a eu un moment 1945 à travers la Sécurité sociale, les nationalisations, on peut dire qu’au milieu des années 1990 se cristallise un moment de la réforme de l’État qui a été préparé par la vague idéologique Reagan-Thatcher. Rappelons les mots de Reagan : « L’État n’est pas la solution, il est le problème. » Des travaux académiques, dits du Public Choice (ou théorie des choix publics), vont étayer l’idée que le but des élus et des dirigeants d’administrations serait d’augmenter la dépense publique pour avoir plus de pouvoir. Critique qui conduit à adopter dans les administrations le New Public Management, la nouvelle gestion publique qui s’inspire du modèle de l’entreprise, dont elle va appliquer certaines recettes à l’intérieur de l’État : séparer la définition de la stratégie de son exécution, favoriser la contractualisation, instaurer des récompenses individuelles ou institutionnelles. Une pensée principalement portée par les consultants.

« La droite instaure un discours de réforme de l’État, alors que le mot de "réforme" est à l’origine de gauche »

En France, son succès fut d’abord d’ordre sociologique, comme Bourdieu le décrit dans La Misère du monde : les élites publiques et privées ont été sur les bancs des mêmes écoles et portent la même vision positive du monde de l’entreprise, avec, de plus, un enjeu de survie pour les hauts fonctionnaires.

Pourquoi ?

Dans les années 1990, l’Europe et les collectivités territoriales montent en puissance. Apparaît l’idée, entre elles, d’un État stratège – ce qui permet aux hauts fonctionnaires de reprendre la main : au lieu d’être des dirigeants de grandes troupes, ils vont prendre des postes de pilotage et retrouver un prestige par le haut, à travers des contractualisations, des objectifs de performance, la régulation de secteurs ouverts à la concurrence.

La gauche est alors au pouvoir en France avec Lionel Jospin, mais aussi en Europe, avec Gerhard Schröder et Tony Blair. Observe-t-on une fracture politique sur ces questions ?

Non, c’est étonnant. Au niveau européen, le consensus dominant est celui de la concurrence, notamment à travers la question du contrôle des aides d’État, lequel est unique au monde et d’inspiration ord

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