Avant de vivre de sa plume, Courteline a goûté pendant quatorze ans aux joyeusetés de la fonction publique. Autant dire qu’il ne manquait pas de matière pour composer Messieurs les ronds-de-cuir. Le petit coussin destiné à soulager leur postérieur est devenu le sobriquet des gratte-papier en manches de lustrine. Que n’a-t-on brocardé ces malheureux bureaucrates ! Dans ses souvenirs d’enfance, Marcel Pagnol évoque « les fonctionnaires de la préfecture, épuisés par leurs longues siestes et meurtris par le rond de cuir ». 

Plus récemment, de Coluche aux Chevaliers du fiel, des humoristes ne se sont pas privés de caricaturer les agents publics, censés allier tous les défauts et tous les privilèges. C’est un peu passé de mode. On n’a plus vraiment envie de plaisanter à propos de la soi-disant stupidité des policiers ou des aides-soignantes traînant leurs pantoufles et leur bavardage dans les couloirs des hôpitaux. Et, surtout, l’informatisation a bouleversé les rapports du citoyen avec l’administration qui joue à guichets fermés. L’usager est reçu par un site internet embrouillé ou un répondeur téléphonique inflexible : tapez 1, tapez 2…

Le fonctionnement de la fonction publique est-il plus fonctionnel pour autant ? La dématérialisation n’a pas effacé la paperasse. On dénonce toujours la lenteur, la lourdeur ou la surdité de l’administration, qui apparaît comme l’exemple à ne pas suivre : dans tous les domaines d’activité – l’entreprise commerciale, la recherche scientifique ou la création artistique –, la « fonctionnarisation » est le mal par excellence. Cent trente ans après Courteline, le spectre du petit coussin de cuir rond continue de nous hanter. 

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