Appelons-la « table de réception ». Elle semble être taillée en marbre et frappe surtout par sa longueur. Quatre, cinq, six mètres ? À ce stade, c’est probablement la principale image que l’opinion mondiale retiendra de la crise ukrainienne dans laquelle le Kremlin joue les épicentres. Poutine reçoit assis en bout de table. Son invité est face à lui, très loin. Poutine parle tout bas, des micros leur permettent de mieux s’entendre… Cette « table de réception » symbolise tout à la fois la difficulté d’approcher le président de la Fédération de Russie, de négocier avec lui et de lire dans son jeu. Depuis plus de vingt ans qu’il règne, la question reste ouverte : que cherche-t-il ? qui est-il ? C’est à ces deux interrogations que ce numéro du 1 cherche à répondre en tentant de dissiper l’énigme du maître du Kremlin.

Au cœur du système poutinien, il faut imaginer une énorme fabrique de brouillage impulsant le chaud et le froid

Tâche ardue. Au cœur du système poutinien, il faut imaginer une énorme fabrique de brouillage impulsant le chaud et le froid, créant la confusion et l’inquiétude sur la scène internationale. Comme le souligne le géographe et diplomate Michel Foucher dans l’entretien qu’il nous a accordé, c’est le propre de cette « dissuasion stratégique », théorisée par son chef d’état-major, de semer l’incertitude. Qui peut prétendre que la paix l’emporte sur la guerre ou la guerre sur la paix ? Nul ne le sait au moment où nous mettons sous presse, selon l’expression consacrée. C’est ainsi que le président Poutine, quand bien même le PIB de son pays ne dépasse pas celui de l’Espagne, affole les chancelleries et parvient à se placer au centre de la « conversation mondiale ». C’est ainsi qu’à la tête d’une armée modernisée de 900 000 hommes, il se retrouve à la table des négociations avec toutes les cartes en main.

Sur ses méthodes, ses modèles, son comportement, Marie Mendras et Michel Eltchaninoff, deux des meilleurs spécialistes de la Russie, nous disent l’essentiel. Le rêve impérial. Le rejet de la démocratie. Le goût du calcul. Le culte de la force. Avec, en outre, une capacité indéniable à faire peur. Après leur première entrevue – tendue –, Barack Obama avait décrit en quelques mots Poutine à ses conseillers : « Il me fait penser à une sorte de chef de district qui aurait une mallette nucléaire et un droit de veto à l’ONU. » Ses conseillers avaient ri de ce portrait un rien méprisant et inquiétant. Une décennie a passé : Poutine se promène toujours avec sa mallette. 

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